jeudi 23 décembre 2021

Pour mes petites filles...

 Le Domaine des murmures.


Du Domaine des murmures. 

Carole Martinez.

Ce roman a été récompensé par le prix Goncourt des lycéens en 2011. Il obtient également le prix du roman historique de Levallois, le prix des lecteurs de Corse, le prix des lecteurs des Écrivains de Sud et enfin le prix Marcel-Aymé en 2012.

L'histoire débute en 1187, Esclarmonde, fille d'un petit châtelain d'un fief situé dans le Jura refuse de se marier et fait le vœu de rester vivre cloitrée dans une cellule construite à côté de la chapelle du château. Elle s'y fait donc emmurer mais, juste avant cela, elle est violée et accouche dans sa cellule d'un fils, Elzéar, à qui sera attribuée une origine mystique voire divine alors qu'il est le fruit du viol incestueux d'Esclarmonde par son père. Elle- même devient une sorte de sainte que les pélerins viennent consulter de très loin. Pour que son père expie son crime elle le force à participer à la croisade contre Saladin avec l'empereur Frédéric Barberousse, il meurt lors de cette croisade. Esclarmonde doit se résigner à se séparer de son fils âgé de 3 ans et meurt dans l'incendie de la chapelle où se trouve sa cellule. Son fils, adopté par la châtelaine, deviendra le nouveau seigneur du Domaine des Murmures.

Le cadre naturel et historique est bien réel : il s'agit de la vallée de la Loue (dans le Doubs), lors de la troisième croisade menée notamment par l'empereur germanique Frédéric 1er dit Barberousse. Amey de Montfaucon, Berthe et Amaury de Joux... ont réellement existé.

En revanche, le château de Hautepierre et ses habitants sont issus de l'imagination de l'auteur. Jusque-là, rien que de très normal pour un roman...

Roman historique épique mais la poésie aussi est présente dans le regard que Carole Martinez porte sur les lieux qu’elle dessine ou plutôt qu’elle suggère, dès les premières pages quand elle nous fait entendre les murmures de la recluse.

De sa cellule, Esclamonde nous transporte sur les traces des croisés en marche vers Saint Jean d’Acre et nous fait partager leur sort jusqu’à la mort de son père.

Histoire,poésie lorsqu'elle rêve dans sa prison de pierre, elle traverse l'enfer en voyant par les yeux de son père les souffrances et la mort des croisés sous un soleil maléfique. Poésie encore quand sa voix siège de sa puissance fait disparaître la mort du village jusqu’au moment  où cesse l’enchantement dès que la parole lui est ôtée.

Un conte aussi avec son indispensable fée incarnée par Bérengère, la guérisseuse au service de Douce, la belle-mère d'Esclarmonde nous enchante. Sorte de géante sensuelle habillée de vert, son influence et son identification à la nature nous accompagnent tout au long du roman. Elle deviendra la Dame Verte de la Loue, fée des eaux entre la vouivre et Mélusine, aux "cheveux aussi verts que des algues."

Terrible à bien des égards, il nous transporte certes à une époque révolue. Mais il demeure cependant d'une modernité étonnante. Loin de l'amour courtois, il nous donne à voir la violence des moeurs et la condition des femmes au Moyen Age ; emmurée, Esclarmonde est plus vivante et libre que beaucoup de ses contemporaines ; solitaire, elle est pourtant toute entière liée à sa famille, son fils, son père, ses proches, ses contemporains… 
Les personnages secondaires sont aussi attachants et vrais, tel un Lothaire repenti et voué à un amour platonique et déchirant, ou une Bérengère, se jetant à corps perdu dans son amour pour son Martin.

Ils portent l'intrigue et font avancer le récit.

Et puis, comme à la fin d’un conte, il faut retenir une leçon ou un message nous avons le choix entre l’amour  que porte Esclarmonde à son fils et la volonté de célébrer le destins de femmes qui peuvent s'élever au-dessus des barrières imposées par les hommes pour réaliser leur destinée : Esclarmonde en guidant les âmes, Douce en dirigeant le domaine, Bérengère en s'appropriant les forces de la nature...

Certes, notre "époque n'enferme plus si facilement les jeunes filles".

En conclusion si vous n’avez pas encore visité le Domaine des murmures, n’hésitez pas faites un détour aventurez-vous au domaine des Murmures et laissez-vous ensorceler.

Pour le plaisir, quelques lignes de ce beau roman :

 

 

Le début du roman, la découverte du château…

« Une brise légère nous caresse le visage, elle joue sur nos cheveux, nous fait plisser les yeux, elle nous chatouille dans le creux de l’oreille. La rumeur éolienne incline les herbes folles. Comme au passage d’une traîne. Ça susurre quelque chose, une peine lointaine, ça s’effiloche en l’air.

Nous avançons à contre-vent dans ce long chuchotement qui semble s’échapper des pierres.

Et tout ce chemin que nous venons de parcourir, cette forêt et ces bois profonds, ce parfum d’humus et cette rivière aux boucles vertes que nous savons en contrebas, tout cela se dérobe et paraît irréel. La forteresse entière vacille sous nos yeux. Car ce château n’est pas seulement de pierres blanches entassées sagement les unes sur les autres, ni même de mots écrits quelque part en un livre, ou de feuilles volantes disséminées de-ci de-là comme graines, ce château n’est pas de paroles déclamées sur le théâtre par un artiste qui userait de sa belle voix posée et de son corps entier comme d’un instrument d’ivoire.

Non, ce lieu est tissé de murmures, de filets de voix entrelacées et si vieilles qu’il faut tendre l’oreille pour les percevoir. De mots jamais inscrits, mais noués les uns aux autres et qui s’étirent en un chuintement doux.

Un menu souffle se lève sur le blanc de la page, se faufile entre les pierres, nous remue l’âme, et c’est dans son haleine que s’esquisse l’ombre vibrante d’un château semblable à ceux qu’on se bâtissait enfant. Et ce sanctuaire spectral dévore le monument majestueux qui se tenait historique et solide sous nos yeux, il y a quelques secondes à peine. Les murmures dessinent des ombres fugitives sur sa façade austère et nous attendons le cœur battant, nous attendons d’y voir plus clair.

La tour seigneuriale se brouille d’une foule de chuchotis, l’écran minéral se fissure, la page s’obscurcit, vertigineuse, s’ouvre sur un au-delà grouillant, et nous acceptons de tomber dans le gouffre pour y puiser les voix liquides des femmes oubliées qui suintent autour de nous. »

 

Esclamonde devient l’emmurée, la mère du miracle…

« Et tandis qu’il dormait, la rumeur s’enflait, grondait, s’étalait sur le fief des Murmures, la rumeur dépassait le grand calvaire, elle courait sur l’horizon, rebondissait de famille en famille, de bourgade en bourgade, empruntait la grand-route, coupait à travers champs, une bouche touchait vingt oreilles qui devenaient aussitôt autant de langues, et chacun se hâtait de répéter, de raconter, d’inventer ce miracle à sa façon, avec ses mots, ajoutant des détails, des trous aux pieds, une couronne d’épines, une auréole dorée sur mes cheveux et sur ceux d’Elzéar, et une étoile nouvelle au ciel, un astre bleuté si brillant que certains affirmaient l’avoir vu en plein midi et en avoir été aveuglés le temps de réciter vingt dizaines d’Ave. Esclarmonde, la pucelle emmurée, avait enfanté un petit ange en ce vendredi, s’extasiait-on, et cet enfant merveilleux portait les stigmates du Christ, cet enfant parlait le latin, récitait les Évangiles et avait déjà guéri deux lépreux et trois paralytiques. »

 

Bérangère, la fée de la Loue…

« En fait de rires, je devais désormais me contenter de celui de Bérengère, dont l’immense beauté s’épanouissait de jour en jour.

Chaque soir, en quelques enjambées, elle gagnait la forêt pour y rejoindre son galant qui, à force de caresses, lui avait poli les raideurs. À la nuit, les cris d’amour de cette femme se répandaient dans les bois, se mêlant en automne aux brames de langueur des cerfs et parfois même aux hurlements des loups. Vers la fin du printemps, les amants changeaient de couche. Ils s’allongeaient sur les berges de la Loue et, tout l’été, la jeune géante y gémissait dans le murmure des eaux, si bien que femme et rivière semblaient jouir à l’unisson, étendues côte à côte sous la nue, et que les mauvaises langues commençaient d’accuser ce couple d’ogres d’ensemencer la nuit.

Elle ne se lassait pas de son corps dont elle découvrait les charmes dans les yeux de Martin, elle laissait enfin transparaître la grâce naturelle de ses gestes, grâce qu’elle avait contrainte jusque-là davantage sans doute par prudence que par pudeur. Elle avait brisé les invisibles chaînes qui l’entravaient depuis l’enfance, cette tenue qu’on lui avait imposée, et la géante s’offrait désormais aux frôlements du vent, à la fraîcheur des sous-bois, aux langues de soleil. Il lui arrivait de jouir du paysage ou même d’une petite brise égarée sous ses jupes — voluptés solitaires —, de s’accoupler avec le monde le temps d’un courant d’air. Ses mouvements déliés agitaient ses rondeurs et incitaient à l’amour, tout comme cette joie que le désir des fâcheux ne parvenait pas à étouffer, cette joie qu’il lui était difficile de contenir et qui, la débordant, fusait le jour en rires, la nuit en cris dont les merveilleux éclats embrasaient les Murmures et se fichaient dans le cœur des hommes comme des traits. »

 


lundi 4 mai 2020

"Moby Dick" pour le groupe des lecteurs de l'AEPR et les autres!


MOBY DICK.
Difficile de présenter la BD sans parler du roman d’Herman Melville. Et pourtant Olivier JOUVRAY, l’auteur du scénario,  nous prévient : il s’agit d’une adaptation très libre du roman.
Et c’est vrai que la BD se suffit à elle-même. Elle est construite sur ce qui est considéré comme le cœur du roman, la vengeance du capitaine Achab, mutilé au cours de sa dernière campagne par un cachalot monstrueux, Moby Dick.
Illustrée et colorée par Pierre ALLARY, l’ouvrage est vraiment magnifique, du moins pour un néophyte de la BD.
La personnalité sombre du capitaine est mise en valeur tant par le dessin que par les couleurs. Le découpage de l’histoire est fidèle au roman si l’on prend comme postulat de départ que l’histoire racontée par la BD est celle du délire de vengeance du capitaine Achab. Trois chapitres, dans le premier Ismaël et Quiqueg se rencontrent et deviennent amis. Le bateau commence son périple, au bout de quelques jours, Achab apparaît. C’est alors le début du deuxième chapitre, sans doute celui qui s’éloigne le plus du roman. Ici on suit dessin après dessin, page à page, la montée de la folie d’Achab, la tentative de résistance du second, Starbuck et l’envoutement de l’équipage. Jusqu’au paroxysme, le corps à corps si l’on peut dire entre le « Léviathan » et Achab : c’est le troisième chapitre.
Olivier Jouvray et Pierre Allary consacrent trente pages au premier chapitre, soixante au deuxième et vingt-trois au troisième. Pour Herman Melville, si l’on prend les mêmes repères, ce sont cent cinquante pages pour la première partie, quatre cent trente neuf pour la seconde et trente quatre pour la dernière.
La BD, relatant la partie la plus sombre du roman est… sombre. Sombre mais épique, atrocement exubérante, tragiquement démente…
Le deuxième chapitre est construit en regroupant quelques passages du roman qui racontent l’attente d’Achab, mais quelque soit le talent du scénariste il a sans doute été difficile de choisir parmi tout ce qui concerne le capitaine, tellement Melville mêle ces passages à ce qui demeure, selon lui, l’objet principal de son livre : un témoignage ou plutôt une recherche documentaire sur la pêche au cachalot.
Sombre donc cette aventure maritime et humaine.   
Et pourtant l’œuvre  de Melville est considérée par beaucoup de critiques comme l’un des deux romans américains le plus comique du XIXème siècle, avec « Huckleberry Finn » de Mark Twain. Alors…
Autant la partie traitée dans la BD ne nécessite aucune référence, tant le sujet traité semble éternel, la vengeance et la folie qui peut entraîner un homme aux pires accès, autant la compréhension du roman de Melville est facilitée si l’on ne perd pas de vue qu’il s’agit, aussi, d’une chronique historique sur les cétacés et leur pêche écrite en 1852 par un américain.
1852, Melville a 33 ans, il a connu des fortunes diverses, exercé des professions variées, instituteur remplaçant dans une petite école de campagne, marin de commerce, matelot sur un baleinier, matelot sur un navire de guerre de USA…
1850, l’Amérique est indépendante depuis1783, date du traité de Paris, 73 ans, ce n’est pas beaucoup…Soixante treize ans qui ont vu l’Amérique passer de la colonie anglaise à un état de plus en plus puissant. Mais en 1850 la mue est loin d’être terminée. La traite des esclaves est interdite mais pas l’esclavage…
 La guerre de Sécession débutera en 1861 pour se terminer en 1865.
En 1802 Napoléon vend la Louisiane aux américains, mais la Louisiane de 1802 c’est au moins autant que le reste de l’Amérique à l’époque.
1814, l’Espagne vend la Floride à l’Amérique, 1845, annexion du Texas.
1848, fin de la guerre avec le Mexique, les USA annexent un territoire immense comprenant, l’Utah, le Colorado, la Californie, le Nevada et l’Arizona.
1859, parution de « « L’origine des espèces », de Darwin. HM ne pouvait donc connaître les thèses évolutionnistes quand il indique que la création de l’homme date d’il y a 6 ou 8 000 ans.
L’’œuvre de Melville ne peut cependant se réduire ni à l’histoire d’Achab ni à la chronique historique sur la pêche à la baleine.
Elle foisonne de commentaires sur la religion, la politique et la justice, voire sur les fondements des sociétés…
Très méfiant voire résolument critique envers la société puritaine américaine intolérante vis-à-vis de tous les autres cultes, ironisant les diverses sectes qui fleurissent à l’époque, il n’hésite pas à écorcher ce qui fait la fierté des américains de l’époque. Ceci lui vaudra un accueil très réservé de la haute société américaine. Après son « Vareuse blanche » publié en 1849, qui dénonçait les abus en vigueur sur les navires de guerre américains, « Moby Dick » n’est pas fait pour arranger les choses.
Pour conclure il m’a semblé intéressant de citer le passage sur « poisson attrapé, poisson perdu » qui met en relief l’humour  noir de Melville et ses penchants politiques.
« Il arrive souvent que lorsque plusieurs navires sont en croisière sur le même parage l’un d’eux tue une baleine, celle-ci lui échappant pour être tuée et prise par un autre, ce qui entraîne indirectement quantité de petits imprévus à partir d’une même cause : la propriété de la prise.
Les pêcheurs américains ont été leurs propres législateurs et hommes de loi en ce domaine. Ils ont élaboré un système qui, dans sa concision et son intelligibilité, l’emporte sur les Pandectes de Justinien et les arrêtés municipaux de la Société chinoise pour la répression du goût de se mêler des affaires des autres.
I : Un poisson amarré appartient à qui l’a amarré.
II : Un poisson perdu appartient au premier qui le prend

Un adage courant ne dit-il pas que la propriété fait la moitié de la loi, sans se soucier de la manière dont une chose a été acquise. Mais souvent la propriété fait toute la loi. Que sont les muscles et les âmes des serfs russes et les esclaves républicains sinon des poissons attachés dont la propriété fait loi absolue ?
Qu’est le revenu de cent mille livres de l’archevêque de Sauvez-vos-âmes, provenant de la saisie du misérable pain et du fromage de centaines de milliers de travailleurs rompus (assurés du ciel sans le secours de Sauvez-vos-âmes), qu’est-ce donc ce revenu sinon un poisson amarré ?
 Qu’est l’Irlande pour le redoutable harponneur qu’est John Bull, sinon un poisson amarré ? Qu’est le Texas pour ce lancier apostolique frère Jonathan, sinon un poisson amarré ? Pour tous ceux-là la propriété n’a-t-elle pas force de loi ?
Si la doctrine du poisson amarré est joliment applicable en général, celle, proche parente, du poisson perdu, l’est encore davantage, internationalement et universellement.
Qu’était l’Amérique, en 1624, sinon un poisson perdu sur lequel Colomb planta les couleurs espagnoles afin de la repérer pour le bénéfice de ses souverains ? Que fut la Pologne pour le Tsar ? La Grèce pour les Turcs ? L’Inde pour l’Angleterre ? Que sera le Mexique pour les État-Unis pour finir ? Tous des poissons perdus.
Que sont les Droits de l’homme et la liberté sinon des poissons perdus ? Que sont les idées et les opinions de tous les hommes sinon des poissons perdus ? »

lundi 9 septembre 2019

La loi de 1905, la laïcité de l'Etat républicain, la liberté de conscience garantie pour tous.



La loi de 1905 est devenue au fil des décennies l’un des socles de République. Elle a défini l’art et la manière de vivre en paix en garantissant à chacun la liberté de conscience.
Modifiée à de nombreuses reprises, elle ne ressemble plus beaucoup à ce qu’elle était à son origine. Depuis le 9 décembre 1905 elle a connu une dizaine de modifications, mais les deux articles essentiels, les deux premiers, ont cependant tenu bon malgré les attaques continuelles de ceux qui, au moment de son vote, avaient promis qu’ils la détruiraient…
Cette loi qui, sans la nommer, définit une des valeurs essentielles de la République, la laïcité, et les raisons qui ont lutté pour l’imposer oblige à être particulièrement vigilants dès que l’on parle de la réviser, voire comme il en est régulièrement question, de la supprimer.
Elle répondait à une situation trouble, celle des débuts de la Troisième République.
Pour bien rendre compte de l’importance de cette loi qui a mis fin à plus de quinze siècles d’une histoire tourmentée  deux entrées sont possibles, la première permet de mieux comprendre les raisons qui ont  conduit les législateurs de la IIIème République à la faire voter, la seconde relate les relations difficiles entre les gouvernements successifs de la France et la Papauté depuis le baptême de Clovis .

D’abord, donc un retour sur les évènements qui ont précédé ce 9 décembre 1905. Il s’agit en fait de l’histoire de la naissance et l’installation de la Troisième République. Impossible de comprendre cette loi d’apaisement, telle qu’elle a été voulue par son artisan, Aristide Briand sans se rappeler cette période charnière.
 Ce ne sont pas les sources qui manquent. En ce qui concerne les évènements et le climat politique, social et culturel des premières années de la République le livre de Michel WINOCK, « Décadence fin de siècle »  a été bien utile.
Quelques sites, Gallica, en particulier pour la presse de l’époque, d’autres plus spécialisés répondent plus précisément au souci de mieux rendre compte du climat politique et social de l'époque. Après quelques recherches le site de l’ENS de Lyon, « persée.fr » a permis de suivre pas à pas les débats parlementaires qui ont abouti au vote de la loi.

Pour la loi elle-même, quoi de plus légitime que le rapport parlementaire présenté en 1905 par Aristide Briand,  le rapporteur de la commission parlementaire présidée par Ferdinand Buisson. L’histoire de ce rapport mériterait sans doute  un développement plus important, mais il faut bien se limiter. L’exposé de l’une de ses parties, le chapitre consacré à l’histoire des rapports entre Rome et les différents pouvoirs qui ont dirigé la France à travers les siècles suffira à montrer combien le souci des responsables de ce projet était de dépassionner le débat entre les catholiques et les républicains. 
Commençons donc par un tour d’horizon de ces trente premières années de la IIIème République.
1905 est en quelque sorte un aboutissement, celui de combats sans concession qui ont commencé dès la chute de l’Empire, après la défaite de Sedan, le 2 septembre 1870. 
Le 4 septembre Léon Gambetta proclame la République, un gouvernement de Défense nationale est constitué pour continuer la guerre. Mais les prussiens progressent, le gouvernement doit se retrancher à Bordeaux. Le 18 Janvier, à Versailles,  les prussiens proclament l’unité allemande. Guillaume Ier devient empereur d’Allemagne. Le 28 janvier un armistice est signé.
Fin de l’empire en France, proclamation de l’unité allemande et création de l’empire allemand, cette période est celle de grandes transformations en Europe, on assiste également en septembre 1870 à la prise de Rome et à la déclaration de l’unité italienne, avec pour conséquence la disparition des états pontificaux et du pouvoir temporel du pape.
C’en est trop pour Pie IX, qui avait publié en 1864 l’encyclique Quanta cura et le Syllabus de 1864 qui condamnait « les monstrueuses erreurs politico-religieuses du XIXème siècle, libéralisme, socialisme, maçonnerie, gallicanisme et rationalisme jusqu’aux actions des associations catholiques libérales… ». Cette perte du pouvoir temporel du pape va marquer durablement les rapports entre la Papauté et la République.
Fin du second empire et proclamation de la République, mais cette république reste très fragile, ses premiers pas vont durer une dizaine d’années.
Le 8 février 1871, l'Assemblée nouvellement élue est majoritairement monarchiste : sur 675 élus, environ 400 monarchistes (dont 182 légitimistes et 214 orléanistes), et 250 républicains avec une minorité de socialistes. Adolphe Thiers, ancien ministre de l'Intérieur de Louis-Philippe, est nommé Chef du pouvoir Exécutif de la République française. Le 19 février, il constitue un gouvernement, composé de ministres du centre droit et de la gauche modérée.
Après la signature de l’armistice et le couronnement de Guillaume Ier, c’est la Commune dont la fin tragique marquera durablement les rapports au sein de ce qui l’on appellera plus tard la gauche.La Chambre étant divisée en trois grands blocs, les Légitimistes, les Orléanistes et les Républicains, les monarchistes doivent s'allier entre eux pour espérer le retour d'un roi. Or cette alliance ne se fait pas. En effet, par le Manifeste du 5 juillet 1871, le comte de Chambord, le prétendant au trône légitimiste, refuse d'adopter le drapeau tricolore pour lui préférer le drapeau blanc. Ce refus, empêche la Restauration et sépare les Orléanistes des Légitimistes.
Devant les échecs d'une restauration, Thiers semble se tourner de plus en plus vers un régime républicain très modéré, et dans un discours du 13 novembre 1872, il affirme son ralliement à la République, qu'il veut socialement conservatrice et politiquement libérale.
Mais les royalistes ne baissent pas les bras, ils continuent à croire au retour de la royauté.
En attendant cette restauration, le maréchal Mac Mahon, qui a dirigé la lutte contre la Commune et organisé la répression, est élu à la tête de l'État. Mais les divergences entre Chambord et les orléanistes et la montée en puissance des républicains à l'assemblée au cours des années 70 rendent difficile toute tentative de restauration des Bourbons et le projet légitimiste est définitivement abandonné.
C’est aussi sous la présidence de Mac Mahon que la politique dite de l'ordre moral, fondé sur l'encouragement des valeurs religieuses se met en place. Cette politique ouvertement catholique fidèle au pape se complète de mesures farouchement antirépublicaines. La censure d'État frappe la presse républicaine, la commémoration du « 14 juillet » est interdite, les bustes de Marianne sont retirés des mairies, les enterrements civils sont prohibés. Par ailleurs, l'importante loi de réforme administrative du 20 janvier 1874 donne au chef de l'État et à ses préfets le droit de nommer les maires dans toutes les communes, mesure fort mal reçue dans les campagnes pourtant acquise au parti de l'ordre.
Les élections législatives de 1877 fragilisent l'influence des Orléans, et le président conserve son pouvoir uniquement grâce au soutien du Sénat. Pas pour longtemps, les élections sénatoriales de décembre 1878, confirment la montée des républicains et le déclin des royalistes. Sans majorité, Mac Mahon est contraint de quitter le pouvoir en 1879, mettant fin au projet d'une nouvelle restauration.
C’est la fin de la période d’incertitude, la République va pouvoir s’installer, mais ce sera dans la douleur. Les milieux monarchistes même divisés restent influents.
Cependant la République se renforce, Jules Grévy, est élu président de la République, des décisions sans ambiguïté sont prises :
Le 14 février 1879, la Marseillaise est l'hymne national.
Le 6 juillet 1880, le « 14 juillet » est déclaré fête nationale, commémorant la fête de la Fédération de 1790.
Le 11 juillet 1880, les communards sont amnistiés.
Des lois importantes sont votées après les élections de 1881 qui voient une majorité républicaine très nette, 487 contre 80 conservateurs, Jules Ferry, désormais l’homme fort du gouvernement fait voter les lois scolaires.
Dans l'esprit des républicains, l'école doit être le moyen pour les Français de lutter contre l'ignorance, "d'éclairer chaque jour davantage le suffrage universel" (Gambetta). Il faut donc que l'école soit gratuite, obligatoire et laïque. L'objectif principal de Jules Ferry est de mettre en place une école républicaine qui forme des citoyens éclairés et qui puisse réunir sur les bancs de l'école les enfants que mêleront plus tard le service militaire.
La loi Ferry du 16 juin 1881 établit la gratuité de l'enseignement primaire dans les écoles publiques et la nécessité de l'obtention par les instituteurs d'un brevet de capacité. Elle est complétée par la loi du 28 mars 1882 qui affirme l'obligation pour les enfants de 6 à 13 ans de fréquenter les bancs de l'école qui serait désormais laïque. La fin des études primaires est sanctionnée par un certificat d'étude, décerné après un examen public. Quant au personnel enseignant, il est aussi laïcisé par la loi Goblet du 30 octobre 1886, et sa formation est votée dans la loi Paul Bert du 9 août 1879, chaque département doit avoir une école normale primaire d'instituteurs et d'institutrices.
D’autres lois vont confirmer le caractère républicain du régime, elles mettent fin aux mesures prises par le gouvernement de l'Ordre moral:
La loi du 29 juillet 1881 établit un régime libéral en matière de presse.
La loi du 30 juin 1881 accorde la liberté de réunion publique sans autorisation.
Sur le plan social, la loi Waldeck-Rousseau du 21 mars 1884 légalise les syndicats, sauf au sein de la fonction publique et des corps dépendants de l'État.
Tandis que, sur le plan familial, la loi Naquet du 27 juillet 1884 rétablit le divorce pour faute.
Enfin, du point de vue administratif, la loi du 5 avril 1884 consacre le principe de l'élection du conseil municipal au suffrage universel masculin (tous les 4 ans jusqu'en 1929) et le principe de l'élection du maire et de ses adjoints par le conseil municipal.
Certains corps de l'administration, notamment celui de la magistrature, restaient des milieux conservateurs qui avaient fidèlement servis l’Empire. Pour les républicains, il est urgent de les épurer des hauts fonctionnaires qui pourraient s'opposer à eux. Déjà, lors de l'application des décrets du 28 mars 1880, 200 magistrats avaient refusé d'expulser les jésuites et avaient démissionné. Par la loi du 30 août 1883, Jules Ferry touche à l'inamovibilité des magistrats du Siège en la suspendant pendant trois mois, le temps pour le gouvernement de mettre à la retraite ceux qui étaient hostiles à la forme républicaine de gouvernement. Sont notamment visés « les magistrats qui, après le 2 décembre 1851, ont fait partie des commissions mixtes » c'est-à-dire ceux qui avaient prêté main-forte à Louis-Napoléon Bonaparte contre la République. En assainissant le corps judiciaire, les républicains s'assurent désormais que les décisions de justice ne contrecarrent pas la volonté du Législateur.

On peut imaginer les réactions des milieux monarchistes et catholiques à toutes ces nouvelles mesures, mais nul besoin de se donner cette peine il suffit de lire la presse conservatrice et catholique pour s’en rendre compte.
Michel Winock en a tracé un portrait saisissant.
« Pour instaurer leur régime, les républicains ont dû lutter contre l’Église, la meilleure alliée des conservateurs monarchistes. Jules Ferry, le grand initiateur de l’école moderne, fait preuve d’un esprit modéré, qui ne souhaite pas anéantir la religion, mais cela n’empêche pas la presse conservatrice de dénoncer en lui le libre penseur, le positiviste, le franc-maçon, l’ennemi du christianisme. »
« La presse catholique donne le ton. La Civilisation, le 31 mars 1880, en appelle au rétablissement de la monarchie : « Le clergé séculier, les évêques de France ne séparent pas leur cause de celle des congrégations régulières. L’Église entière veut être associée à la proscription dont on honore quelques-uns de ses membres. Dès aujourd’hui, il y a guerre irréconciliable entre les catholiques et les factieux qui nous commandent. Le devoir de notre roi devient plus impérieux que jamais. Trente millions de Français sont opprimés dans leur conscience et dans leur liberté. Sire, délivrez-nous promptement… »
La République s’installe mais ses ennemis sont encore bien décidés à lui mener la vie dure.
Le souvenir de la défaite de 1871 et surtout la perte de l’Alsace et d’une partie de la Lorraine vont peser lourd dans le déroulement des années 80. Dès 1882 Déroulède créée la ligue des Patriotes qui reçoit un accueil favorable dans tous les milieux, apolitique au départ la ligue devient anti socialiste et anti parlementaire dès 1885.
En 1887, Déroulède rejoint le général Boulanger qui revendique un gouvernement d’autorité, un président élu au suffrage universel, c’est le « Boulangisme ».Le général Boulanger va regrouper derrière lui tous les mécontents, ceux qui souhaitent détruire la République, les monarchistes, les bonapartistes, les catholiques mais aussi certains radicaux au moins dans les premiers mois, les socialistes qui ne veulent pas de cette république bourgeoise, les blanquistes, d’anciens communards, Rochefort ou l’amie de Jules Vallès, Séverine…
L’aventure se termine en 1889, Boulanger menacé de la Haute Cour s’enfuit, ses troupes se dispersent sans perdre leur volonté de continuer le combat chacune sous leur propre drapeau.
Les années 90 auraient pu être celles de l’apaisement, la République avait tenu bon mais les attaques vont venir de tous les bords.Les mouvements révolutionnaires, surtout les anarchistes, se développent dans toute l’Europe.En France, la revendication sociale est brutale avec Ravachol, la violence politique atteint son extrême par l’assassinat du président de la République, Sadi Carnot. Le mouvement ouvrier, plus anti gouvernemental qu’anti républicain s’organise aussi, La revendication du jour chômé pour le premier mai se terminera par la mort de 9 ouvriers tués par l’armée lors de la grande grève de Fourmies en 1891.
Le nouveau régime connaît encore de nombreux opposants, partisans de la monarchie et de l’Empire ou nostalgiques d’un Ancien Régime qui sont loin d’avoir tous désarmé. Surtout, il est resté en butte à la hiérarchie catholique et au gros du clergé, fidèles aux enseignements pontificaux qui condamnaient le « monde moderne », le libéralisme et la démocratie. La volonté des maîtres de l’heure de laïciser l’État et l’École n’a fait qu’aviver cette fracture religieuse. Les choses évoluent malgré tout, en 1892, Léon XIII qui vient de succéder à Pie IX, par son encyclique Inter sollicitudines de 1892 reconnaît la République, entraînant le «ralliement » de certains catholiques.
Mais à partir de 1890, l’Église de France se joint massivement au mouvement antidreyfusard, antirépublicain et antisémite qui menace les institutions du pays dans les années 1898-1900. La gauche tout entière fait bloc, et Waldeck-Rousseau, «républicain modéré mais pas modérément républicain » selon sa propre expression, devient chef d’un gouvernement rassemblant le centre, les radicaux et même les socialistes.
Il fait voter en 1901 une loi libérale sur les associations, mais en exclut les congrégations religieuses, qui restent soumises à autorisation. Fidèle à la tradition gallicane il souhaite réduire l’influence des congrégations enseignantes. Il souhaite cependant appliquer «sa » loi avec un certain libéralisme. Tel n’est pas le cas de son successeur en 1902, Émile Combes. Celui-ci ne veut pas la séparation des Églises et de l’État, car il souhaite contrôler le clergé. Les circonstances vont néanmoins précipiter les événements. En 1903, l’intransigeant Pie X succède au pragmatique et diplomate Léon XIII. En avril 1904 le président de la République, Émile Loubet, rend à Rome en visite officielle, le pape proteste énergiquement, il ne reconnaît pas l’annexion de la Ville Éternelle par le Royaume d'Italie en 1870. C’est la rupture des relations diplomatiques avec Paris.
Dans le climat social qui s’alourdit deux solutions s’offrent aux républicains, la prise du contrôle de l’église en aggravant les termes du Concordat, pour en revenir à un gallicanisme pur et dur, en risquant de provoquer une guerre civile dans certaines régions ou décider d’une séparation entre l’Etat et l’église.
Deux visions portées, l’une par les radicaux et la gauche socialiste qui reprennent la thèse du contrôle de l’église, l’autre par ceux qui souhaitent préserver la paix sociale, et qui prônent la séparation, ceux que l’on retrouve dans les sociétés de pensée comme la maçonnerie, la «Libre Pensée », la Ligue des droits de l’Homme, etc. Les socialistes aussi, mais plus pour des questions de stratégie. Jean Jaurès veut presser le mouvement pour contraindre les radicaux, une fois la Séparation votée, à se prononcer sur les réformes sociales.
Émile Combes et le congrès radical finissent par se résoudre à cette Séparation dont en fait ils ne voulaient guère quelques mois auparavant.
Tout est en place pour entrer dans le vif du sujet : la loi de 1905.Dès juin 1903, une commission avait été créée à la Chambre des députés pour étudier le sujet. Composée de 33 membres — 17 de gauche et 16 de droite —, elle n’inclut aucun radical, car le parti de Combes ne voyait pas alors l’intérêt du débat.Présidée par Ferdinand Buisson, célèbre pour son combat pour un enseignement gratuit et laïque, à travers la Ligue de l'enseignement. Grand commis de l’État, proche de Jules Ferry, il a contribué à diffuser le substantif « laïcité ». Pendant le Second Empire, jeune professeur agrégé de philosophie, il refuse de prêter serment à l’empereur et émigre en Suisse. Plus tard, en 1927 pour tout autre chose, il obtiendra le prix Nobel de la Paix.Le rapporteur, Aristide Briand, député socialiste de la Loire, nouvellement élu en 1902. Né à Nantes en 1862, très proche de Jaurès dont il est le principal lieutenant à la tête du Parti socialiste français (PSF) qui s’oppose souvent au dogmatique Jules Guesde et à ses amis du Parti socialiste de France (PsdF). Il va jouer un rôle-clé dans l’élaboration de la loi. Bien que membre de la Libre Pensée et hostile à toute intervention de l’Église dans la vie publique, il ne voit pas l’intérêt pour la République à risquer une guerre civile en faisant une loi de combat. Lui aussi, En 1926, devenu ministre des Affaires Etrangères il sera par le prix Nobel de la Paix. Briand est un conciliateur qui va devoir à la fois s’opposer aux adversaires de droite de la Séparation mais aussi à ses propres «amis ». Toute son habileté — et elle va se révéler grande — va être de montrer aux opposants à la loi qu’il est leur meilleur rempart face aux excès des anticléricaux et à ceux-ci que son texte est le seul à pouvoir être accepté par le pays sans déchirements. Du grand art.Fin octobre 1904, la loi n’est toujours pas voté, une nouvelle étude commence, en l’absence de Buisson, malade, Briand s’attelle à la tâche, il s’entoure de trois collaborateurs qui vont préparer le rapport parlementaire, chacun se voit confier une partie du rapport mais Briand garde la main sur l’ensemble du projet, il veut une séparation qui ne soit pas la victoire d’un camp sur l’autre, il veut une église libre dans un état libre, sa laïcité n’est pas un combat contre toute forme de religion mais une neutralité de l’Etat face aux croyances.Début 1905 Combes se retire, remplacé par Rouvier qui ne croit pas à la séparation, mais il lui est impossible d’arrêter les débats. Le 17 mars le rapport est présenté aux députés.
Les débats vont durer du 21 mars au 3 juillet, ils seront d’une haute tenue philosophique des deux côtés, Aristide Briand, Jean Jaurès vont peser pour convaincre les socialistes et les radicaux qui dénoncent un projet trop favorable aux catholiques.
Le 12 avril l’article 1, « La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l’intérêt de l’ordre public. », est voté par 422 voix pour contre 45.
Le 13, une partie de l’article 2, « La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. » est adopté par 337 voix contre 243.
Mais l’essentiel des débats vont se concentrer sur l’article 4 qui prévoit que les biens des établissements de culte et la jouissance des lieux de culte reviendront à des associations de fidèles créées à cet effet, aucune mention n’est faite des églises organisées existantes. Celles-ci sont opposées à ces dispositions, elles craignent la naissance de communautés de laïcs qui se révéleraient autonomes des autorités épiscopales.
Aristide Briand négocie avec les catholiques modérés dont l’évêque de Rouen. La loi est enfin adoptée.
La séparation et la fin du concordat tiennent dans ces deux articles. Inévitable en 1905, cette loi demeure indispensable en 2019…
… Son histoire ne s’arrête pas. Depuis 1905 elle a connu bien des attaques, ses adversaires n’ont jamais renoncé.
Et pourtant les motifs qui ont conduit à cette mesure de bon sens n’ont pas disparu. Pour la défendre à l’assemblée, Aristide Briand a présenté un rapport qui dans sa partie historique montre combien cette loi était devenue indispensable pour assurer la paix sociale.


Rapport fait au nom de la Commission relative à la SÉPARATION DES EGLISES ET DE L’ETAT ET A LA DÉNONCIATION DU CONCORDAT.
Par M. ARISTIDE BRIAND, député.
Extraits.

Dès juin 1903, une commission créée à la Chambre des députés pour étudier le sujet en 1903 piétine, Combes a proposé un projet qui  dévoile sa pensée profonde : continuer à contrôler l’Église en entravant son développement. Cette proposition se heurte à de vives oppositions.
Face à cette levée de boucliers, la Commission décide de fusionner son texte avec celui de Combes , qu’elle ne peut ni accepter ni ignorer. Cette mission ardue échoit à Aristide Briand, Ferdinand Buisson étant malade. Pour mener à bien sa tâche, Briand va s’appuyer sur trois collaborateurs : Léon Parsons, journaliste spécialisé dans les débats parlementaires, socialiste — il avait travaillé avec Briand au comité général du PSF —, c’est un homme cultivé, libéral, de famille catholique ; Paul Grunebaum-Ballin, jeune auditeur au Conseil d’État, d’origine juive, recommandé par Léon Blum et qui vient de publier un ouvrage juridique sur la séparation ; enfin et peut-être surtout, Louis Méjan, haut fonctionnaire protestant, frère de pasteur, proche d’hommes politiques tant radicaux que modérés, commissaire du gouvernement près le conseil de préfecture de la Seine. Méjan souhaite une séparation libérale loin du sectarisme de Combes
Aristide Briand a réparti la tâche entre ses trois collaborateurs : à Parsons revient l’introduction historique du projet, de Clovis à la Révolution et du Concordat au ministère Combes ; Grunebaum-Ballin rédige la partie consacrée aux législations étrangères ; tandis que Méjan intervient sur l’ensemble du texte. Mais, tant dans l’inspiration que dans la rédaction, on retrouve la main de Briand.
Il veut une séparation qui ne soit pas la victoire d’un camp sur un autre, mais qui aboutisse au rêve d’un Montalembert ou d’un Lamartine dans les années 1830 : une Église libre dans un État libre. Il s’éloigne donc de nombreux radicaux et socialistes, mais pas de Jaurès : sa laïcité n’est pas un combat contre toute forme de religion, mais une neutralité de l’État face aux croyances.
C’est la partie historique qui semble le mieux expliquer la nécessité de parvenir à une séparation claire et respectueuse des convictions de chacun.
Laissons  la parole à Aristide Briand, et à Léon Parsons.

« Messieurs,
En 1778, quelques années à peine avant la Révolution il existait dans le royaume de France une moyenne de 130 000 ecclésiastiques. On pouvait les répartir ainsi : 70.000 appartenaient au clergé séculier  parmi lesquels on comptait 60 000 curés et vicaires 2 800 prélats, vicaires généraux, chanoines de collégiales 3.000 ecclésiastiques sans bénéfices. Quant au clergé régulier le chiffre des ecclésiastiques qu'il comprenait s'élevait à 60 000.
Ces chiffres sont empruntés à l'abbé Guettée, et Taine les donne comme authentiques. De Pradt, le
célèbre diplomate ecclésiastique, le conseiller et le collaborateur de Napoléon dans son œuvre concordataire nous apporte un dénombrement analogue.
Ces 130.000 ecclésiastiques possédaient, à la veille de la Révolution, un tiers de la fortune de la France.

Dans la première partie de cette étude, on verra comment les rapports entre l'Eglise catholique et l'Etat français ne cessèrent jamais d'être troublés.
Sans insister sur la partie anecdotique, nous l'appellerons avec quelques détails les principaux expédients grâce auxquels la royauté française crut pouvoir atteindre à des rapports sereins avec Rome, et comment elle n’y parvint jamais, pas plus d'ailleurs qu'à s'affranchir, par le gallicanisme, de la tutelle gênante du Saint-Siège.
Dans une deuxième partie, nous étudierons les tentatives infructueuses des pouvoirs de la Révolution et nous verrons comment le Concordat napoléonien permit à l'Eglise de se reconstituer et d'acquérir, au cours du XIXe siècle, une puissance égale à celle que nous lui avons connue quelques années avant la Révolution.

De CLOVIS à MIRABEAU

L’adhésion  de Constantin aux idées chrétiennes avait inauguré une ère nouvelle dans l'histoire du christianisme. Depuis le jour où Constantin présida le Concile de Nicée (325), depuis le moment où, après avoir été le souverain pontife de la religion païenne, il se proclama, devenu chrétien, « empereur et docteur de la loi et prêtre », les tendances de la religion de Jésus se trouvèrent profondément modifiées. La parole du Galiléen « Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu» fut désormais sans application une confusion s'établit entre le spirituel et le temporel.
L’Eglise emprunta, pour s'organiser, les cadres administratifs de l'Empire, et elle fut amenée, par la succession des circonstances, à prendre en mains une part considérable de la puissance temporelle. Lorsque les Barbares envahirent la Gaule, ils se trouvèrent en face d'une situation de fait, l'Empire tombé, l'évêque avait remplacé, presque partout, le  fonctionnaire romain.
Le pouvoir de l'évêque était si bien établi dans la cité romaine qu'il devint un des éléments nécessaires à l'installation définitive des envahisseurs sur le vieux sol gaulois. C'est la raison même de la conversion de Clovis.
Une lettre de l'évêque le plus considérable de la fin du Ve siècle, Avitus, métropolitain de Vienne fait prévoir la conception romaine d'un roi de France, fils aîné de l'Eglise et même la prétention qu'aura bientôt Rome, pour établir définitivement son pouvoir, de créer un monarque place sous sa dépendance et dont le pouvoir temporel s'étendit aussi loin qu'allait sa force spirituelle. La lettre du métropolitain de Vienne prévoit déjà l'empire chrétien de Charlemagne.
Cette lettre est le premier texte précis, dans lequel se manifestent les intentions, les secrets désirs, les espérances de Rome. On y sent déjà quelle force attend l’Eglise romaine de sa collaboration intime avec la nation. Elle fait prévoir la conception romaine d'un roi de France, fils aîné de l'Eglise et même la prétention qu'aura bientôt Rome, pour établir définitivement son pouvoir, de créer un monarque placé sous sa dépendance, et dont le pouvoir temporel s'étendit aussi loin qu'allait sa force spirituelle.
La mainmise de la papauté dans les affaires intérieures de la royauté franque ne s'établit pas cependant sans d'assez grandes difficultés. En face des prétentions romaines, il y eut, dès l'origine, une tendance de la nation à vivre de ses propres ressources et de sa propre pensée, à l'abri de toute ingérence extérieure.
Tout au long des siècles la lutte fut dure entre les souverains mérovingiens et Rome pour la nomination des évêques. Mais les deux puissances ont besoin l’une de l’autre.
En 750, Etienne II le pape, s'adresse à nouveau à Pépin. Il fait le voyage de Paris et conclut bientôt avec le prince des Francs une alliance décisive, qui ouvre définitivement l'ère de la puissance romaine, en même temps qu'elle contribue à établir en France la domination de la dynastie carolingienne.

Cette domination fut surtout assurée par une cérémonie qui empruntait aux croyances religieuses du
temps une portée immense. Pépin venait d'être élevé au trône de France. Suivant la coutume, il y avait eu élection. Mais, au moment où, avec ses deux fils, il allait entreprendre une guerre contre les Lombards, le pape lui donna l'onction sainte, ainsi qu'à ses deux fils.

Dans l'Histoire générale, de Lavisse et Rambaud, l'importance essentielle de cette intervention papale est marquée en quelques phrases décisives. Le sacre était une nouveauté chez les Francs. Aucun des Mérovingiens, pas même Clovis, ne l'avait reçu. Cette cérémonie mystique élevait le roi au-dessus du peuple, d'où il était sorti. Les Francs avaient élu Pépin, mais, le jour du sacre, le pape leur a interdit à jamais de se servir de leur droit d'élection; ni eux, ni leur descendance ne pourront prendre un roi dans une autre race, celui-ci ayant été élu par la divine Providence pour protéger le siège apostolique. Désormais les « reins » du roi et de ses fils sont sacrés. Dieu y a mis le pouvoir d'engendrer une race de prince que les hommes, jusqu'à la fin des temps, ne pourront renier sans être reniés par le Seigneur. Autrefois les guerriers portaient leur chef sur le bouclier au bruit des armes et des acclamations. A Saint-Denis, ce n'est pas un homme, c'est une dynastie qui a été élue au chant des cantiques.
Le Seigneur a repris aux hommes le pouvoir de faire des rois. C'est Lui qui « les choisit dès le sein de leur mère ». La raison de régner, la source de l'autorité royale sera désormais la grâce de Dieu. »
La force morale qu'en recueillit la loyauté carolingienne est incontestable mais celle-ci ne fut pas en reste avec la papauté. Elle contracta envers celle-ci des obligations que Rome sut lui rappeler au moment voulu. En 756, le roi des Francs remet les clefs de vingt-deux villes entre les mains du pape; il est vrai que, quelque temps auparavant, Etienne II avait écrit aux Francs « Selon la promesse qui nous a été faite par le Seigneur Dieu, notre rédempteur, je vous prends entre toutes les nations, vous, peuple des Francs, pour mon peuple spécial. »
En 851, le concile de Soissons obtint que certains crimes, entre autres l'inceste, soit soumis à la juridiction ecclésiastique.
Mais cette collaboration intime de la royauté et de l'Eglise connaîtra un moment très difficile pour la royauté, au début du XIIème siècle, les prétentions romaines deviennent de plus en plus arrogantes avec Grégoire VII. Elle a accru ses prétentions à la domination universelle. Elle les a précisées dans des textes définitifs, dans des formules, sous des images. Seul, le pontife romain peut être appelé œcuménique. Son nom est unique dans le monde. Il ne peut être jugé par personne. L'Eglise romaine ne s'est jamais trompée et ne se trompera jamais. Le pontife romain a le droit de déposer les empereurs. Il y a ainsi vingt-sept propositions, qui affirment à la face du monde, la suprématie du pape sur l'Eglise et sur les princes. 
Ces principes n'ont pas été inventés de toutes pièces par Grégoire VII. Ils sont en germe dans le droit canonique et dans les décisions des conciles mais c'est ce pape, célèbre à juste titre dans l'histoire de l'Eglise, qui a coordonné ces éléments divers et a dressé le monument juridique de la théocratie romaine. Armée de cette charte théorique de ses droits, la Papauté a voulu en appliquer les principes au gouvernement des sociétés. Elle a voulu établir son autorité indiscutée sur les évêques et les prélats de toutes les nations chrétiennes.
Mais elle a trouvé en face d'elle des princes, qui, par un usage consacré, avaient conservé la nomination aux grades ecclésiastiques. La guerre qui s'en suivit entre la Papauté et la royauté germanique est demeurée célèbre sous le nom de Querelle des investitures. Sans doute, Rome fut finalement vaincue; mais à la suite de quelles luttes Au début de cette querelle, Grégoire VII avait déposé Henri IV, en des termes que l'Histoire a conservés et qu'il n'est pas inutile de citer ici :  « Pour l'honneur et la défense de ton Eglise, disait-il, au nom du Dieu tout-puissant, du Père, du Fils et du Saint-Esprit, par ton pouvoir et ton autorité, je nie au roi Henri, qui s'est insurgé avec un orgueil inouï contre ton Eglise, le gouvernement de l'Allemagne et de l'Italie: je délie tous les chrétiens du serment de fidélité qu'ils lui ont prêté ou qu'ils lui prêteront. Je défends que personne ne le serve comme on sert un roi. » Quelque temps après, Henri IV faisait pénitence il allait à Canossa, accordant à la papauté la plus belle victoire qu'elle ait jamais remportée sur une puissance temporelle.
Un peu plus tard, au début du XIIIème siècle, Philippe-Auguste (1180-1223) contraint les évêques à se présenter devant sa cour de justice. Il leur enjoint de participer aux frais de la guerre; soucieux de mettre obstacle aux ingérences pontificales il ne craint pas d'engager pour cela la lutte avec Innocent III; en un mot, il prépare la naissance d'un esprit laïque et national, en opposition avec les prétentions de la théocratie romaine.
Puis, Saint-Louis continue son œuvre et ce monarque très chrétien fut un des plus fervents défenseurs de la société laïque. Loin de plier devant la papauté, il obtient d'elle des concessions. Sous son règne, les ecclésiastiques sont astreints à payer les décimes, douzièmes et centimes. Les tendances anti romaines de saint Louis étaient tellement connues qu'on lui a attribué la paternité d'un document, considéré aujourd'hui comme apocryphe, et connu sous le nom de pragmatique sanction de  saint Louis ou Edit sur les élections ecclésiastiques et les libertés gallicanes.
Les différends célèbres entre Philippe le Bel et Boniface VIII vont nous permettre de déterminer encore la marche ascendante des idées gallicanes. Elles vont prendre corps, s'organiser on système, grâce au patriotisme des légistes. Philippe le Bel déclarait net, dès 1297, qu'il ne tenait sa royauté que de Dieu seul. Il affirmait ainsi, de façon catégorique, l'indépendance du pouvoir temporel. Il montra bientôt comment il prétendait se libérer de la domination envahissante des pontifes romains.
Le pape venait de lancer la bulle dite cléricis laïcos , par laquelle il interdisait à tout ecclésiastique de rien payer a un laïc sans y avoir été autorisé par le Saint-Siège, et cela sous peine d'excommunication. Prétention plus étonnante encore, Rome frappait d'interdit les villes qui imposeraient le clergé. 
Philippe le Bel prit une décision capable de faire réfléchir la papauté. Il interdit toute exportation d'or et d'argent hors du royaume. C'était réduire à néant les ressources que Rome recevait de son Eglise de France. Le pape protesta, puis céda. Il est vrai que vingt-trois évêques français le suppliaient de revenir sur sa précédente bulle. Le roi de France put lever, dans certains cas, des subsides sur le clergé. Le pape alla même jusqu'à remettre à Philippe une partie de la collecte de Terre sainte et une année des revenus des bénéfices vacants, et le garantit de la censure ecclésiastique. Quelques années après, de nouvelles difficultés se présentent. Elles atteignent un état aigu. Philippe est amené à faire ouvrir, devant la cour de Senlis, une procédure contre le pape, pour « lèse-majesté, rébellion, hérésie, blasphème, simonie ». Mais le pape accuse Philippe de « tyrannie, mauvais gouvernement, fausse monnaie ». Dans une grande assemblée, à Notre-Dame, le roi affirme la doctrine de l'indépendance absolue du pouvoir royal.

Au XV ème siècle, Charles VII avait déjà eu l'occasion, à plusieurs reprises, de faire montre de sentiments nationaux dans la question des rapports entre l'Eglise de France et la papauté.
En 1438, il convoqua son clergé pour étudier les conclusions du concile de Bâle. On vit à cette assemblée extraordinaire cinq archevêques, vingt-cinq évêques et un grand nombre de prélats. L'assemblée s'ouvrit le Ier mai 1438, mais elle ne fut complète que le 5 juin. On fit un examen minutieux des décrets du Concile de Bâle, afin de juger s'ils étaient bien conformes aux exigences de l'Eglise gallicane. Tous les membres de l'assemblée étaient d'accord pour considérer les libertés de l'Eglise gallicane, non comme des privilèges, mais comme des droits acquis, primordiaux, essentiels, nécessaires à l'Eglise de France et à toute Eglise qui veut demeurer à l'abri des atteintes que les papes s'efforcent trop souvent de lui porter.
Le travail fut terminé le 7 juillet, et c'est le même jour que Charles VII publia l'édit célèbre intitulé
Pragmatique sanction sur l'autorité des conciles généraux, la collation des bénéfices, élections expectatives, appellations, annates, etc.
1438 est une date importante pour le gallicanisme. Mais après cette victoire de la royauté la papauté va petit à petit revenir sur ces acquis.

Dès 1463, Louis IX abolit la pragmatique sanction. 
La fin du XVIème siècle verra la papauté étendre peu à peu son pouvoir, au point ou Machiavel pourra écrire que « les Français n'entendent rien à la politique autrement ils ne laisseraient pas l'Eglise devenir si grande ! »  

Au XVIème siècle, en 1515, François Ier signe le concordat de Bologne avec le pape Léon X. Le résultat de cet accord de la royauté française avec Rome fut d'établir en France un pouvoir étranger, favorable, certes, dans certains cas, aux intérêts personnels du roi, mais nuisible au pays. Le Parlement protesta et n’accepta de signer le concordat que sur ordre du roi tout en dénonçant les risques pour le royaume. De nombreux évêques protestèrent également.

Les guerres de religion vont resserrer les liens entre les gallicans et Rome pendant une longue période.
L’Edit de Nantes, en 1598, marqua la fin de cette période troublée.

Le constant effort de la papauté au XVIIème siècle va tendre à rendre éphémère cette victoire de l'esprit laïque. Si l'on envisage, d'une façon superficielle, le résultat obtenu par la diplomatie ecclésiastique, le grand événement de la Révocation de l'édit de Nantes, apparaît dans un énorme relief, et d'autant plus important et décisif que les ruines, morales et matérielles, qu'il a causées, ont été plus grandes. Mais cette révocation de l'édit de Nantes, si l'on étudie les événements qui l'ont précédée, accompagnée et suivie, ne peut pas être considérée comme une victoire de la papauté.
Elle fut l'acte nécessaire, inévitable, de celui qui, pour asseoir davantage sa domination absolue, voulut réaliser l'unité de l'église de France, croyant, comme il était encore commun au XVIIème siècle, que l'on peut, par la persécution, extirper la foi des consciences, et éteindre la pensée dans les cerveaux.
Louis XIV prétendait devenir le chef incontesté de l'Eglise de France. Sa politique fut anti-romaine, car il voulait annihiler toute autre autorité que la sienne. Elle devait être aussi antiprotestante, pour que son
Eglise fût plus forte, en étant unifiée, et que sa puissance temporelle s'accrût de la force agissante d'une foi incontestée.
On connaît la formule « l'Etat c’est moi ».  II l'étendit aux choses de l'Eglise et Bossuet légitima ses prétentions dans des écrits où aboutissent, pour se transformer en un système cohérent, toutes les tendances qui s'étaient fait jour dans les assemblées de la bourgeoisie et qui affirmaient la royauté de droit divin, la supériorité des conciles sur les papes et l'indépendance du clergé français vis-à-vis le la Cour de Rome.
Louis XIV pensait que le roi, représentant l'Etat, était le seul propriétaire de la fortune publique. Il en résultait pour lui le droit de disposer librement des biens ecclésiastiques.
L'Eglise fut définitivement soumise à la justice civile.
La déclaration de 1682. – le clergé de France a signé une déclaration, divisée en quatre articles et rédigée de la main même de Bossuet. En voici le texte. Il est important, car cette déclaration constitue la charte essentielle du clergé de France.

I- Que Saint-Pierre et ses successeurs, vicaires de Jésus-Christ, et que toute l'Eglise même, n'ont reçu d'autorité de Dieu que sur les choses spirituelles et qui concernent le salut, et non point sur les choses temporelles et civiles, Jésus-Christ nous apprenant lui-même que son royaume n'est pas de ce monde, et, en un autre endroit, qu’il faut rendre à César ce qui appartient à César, et à Dieu ce qui est à Dieu. Qu'il faut s'en tenir à ce précepte de Saint-Paul que toute personne soit soumise aux puissances supérieures, car il n'y a point de puissance qui ne vienne de Dieu, et c'est lui qui ordonne celles qui sont sur la terre c'est pourquoi celui qui s'oppose aux puissances résiste à l'ordre de Dieu.
En conséquence, nous déclarons que les rois ne sont soumis à aucune puissance ecclésiastique par l'ordre de Dieu, dans les choses qui concernent le temporel, qu'ils ne peuvent être déposés directement ou indirectement par l'autorité des chefs de l'Eglise; que leurs sujets ne peuvent être exemptés de la soumission et de l'obéissance qu'ils leur doivent, ou dispensés du serment de fidélité ,que cette doctrine, nécessaire pour la paix publique, et autant avantageuse à l'Eglise qu'à l'Etat, doit être tenue comme conforme à l'Ecriture sainte et à la tradition des Pères de l'Eglise et aux exemples des saints.
II-Que la plénitude de puissance que le Saint-Siège apostolique et les successeurs de saint Pierre, vicaires de Jésus-Christ, ont sur les choses spirituelles est telle néanmoins que les décrets du saint concile œcuménique de Constance, approuvés par le Saint-Siège apostolique et confirmés par la pratique de toute l'Eglise et des pontifes romains, et observés de tout temps religieusement par l'Eglise gallicane, demeurent dans leur force et vertu, et que l'Eglise de France n'approuve pas l'opinion de ceux qui donnent atteinte à ces décrets ou les affaiblissent, en disant que leur autorité n'est pas bien établie, qu'ils ne sont point approuvés ou que leur disposition ne regarde que le temps du schisme.
III-Qu'il faut régler l'usage, de l'autorité apostolique par les canons faits par l'esprit de Dieu et consacrés par le respect général de tout le monde; que les règles, les mœurs et les constitutions reçues dans le royaume et dans l'Eglise gallicane doivent avoir leur force et leur vertu, et que les usages de nos pères doivent demeurer inébranlables; qu'il est même de la grandeur du Saint-Siège apostolique que les lois.
IV-Que, quoique le pape ait la principale part dans les questions de foi, et que ses décrets regardent toutes les Eglises, et, chaque Eglise en particulier, son jugement n'est pas irréformable, si le consentement de l'Eglise n'intervient.
Ce sont les maximes que vous avons reçues de nos pères et que nous avons arrêté d'envoyer à toutes les
Eglises gallicanes et aux évêques que le Saint-Esprit y a établis pour les gouverner, afin que nous disions tous la même chose, que nous soyons tous dans les mêmes sentiments et que, nous tenions la même doctrine.

Après quelques années de brouille un accord fut trouvé, la déclaration de 1682 ne fut pas appliquée mais le roi gardait ses pouvoirs sur l’église de France.
Trois ans après la déclaration du clergé gallican, le 17 octobre 1685, Louis XIV signait l'édit de révocation de  Nantes, corollaire de la déclaration et qui devait, dans l'esprit du roi, réaliser l'unité du culte en France.

Louis XIV avait voulu réaliser l'unité du culte français pour en prendre le contrôle. Il avait également pris part à la lutte contre les jansénistes Port-Royal avait été rasé – et aussi contre les inoffensifs quiétistes. La conséquence inévitable de cette politique se produira bientôt, aucun pouvoir humain n'empêchera de naître la philosophie du XVIIIème siècle.
Avant même la mort du roi, 1715, la compagnie de Jésus, émanation agissante de la Papauté, convainquit le souverain absolu de la nécessité d'une publication urgente de la célèbre bulle Unigenitus (1713). Or, cette bulle ne conseille rien moins que l'obéissance aveugle aux ordres du Saint-Siège que Louis XIV avait mis tant d'acharnement à combattre.

Le Parlement constitué en grande partie par des tenants des thèses gallicanes va reprendre la main sous la Régence et les règnes de Louis XV et Louis XVI.
En 1756, le Parlement a triomphé. Sa victoire s'accompagne d'une réaction contre les jésuites. Gallicans, philosophes, encyclopédistes, sociétés secrètes se liguent contre eux.
En 1764, la Compagnie de Jésus est supprimée par un édit royal. En 1776, une Commission, dite des Réguliers, est nommée par le roi pour réformer le clergé régulier. Un édit du 24 mars 1778 prépare la disparition d'un grand nombre de monastères. Les protestants profitent de la détente générale, l'édit de novembre 1787 leur rend l'état civil. Ce sont des signes avant-coureurs de la prochaine étape. Cependant le clergé romain est toujours le premier ordre de la nation. Il est le plus riche, il est encore le plus paissant, au moment où va s'ouvrir la période de la Révolution française.

DE LA RÉVOLUTION AU CONCORDAT
La suppression de la dîme, dans la fameuse nuit du 4 août, inaugure, pour le clergé, un ordre social nouveau.
Le régime féodal était à tout jamais anéanti. Les dîmes de toutes natures se trouvaient détruites, « sauf à aviser aux moyens de subvenir d'une autre manière à la défense du culte divin. »
Les débats qui ont occupés l’assemblée constituante ont très vite pris un tour moins consensuel que celui qui avait prévalu au cours de cette nuit historique. C’est la question des rapports entre l’état et la religion qui s’engagent alors dans un processus qui aboutira à la constitution civile du clergé faisant des ecclésiastiques des fonctionnaires soumis à l’autorité de l’état.
Malgré ou à cause du talent des orateurs comme Talleyrand et surtout Mirabeau l’assemblée constituante ne sut pas éviter les vieux démons du gallicanisme.

Il paraît surprenant que les réformateurs de l'Assemblée constituante n'aient pas aperçu ce qu'il y avait, dans leur tentative, de contraire à la réalité, à la nature même des choses. Prétendre transformer le clergé en un corps de salariés, soumis à l'Etat, n'était-ce point méconnaître le caractère de l'Eglise catholique, universelle, romaine, n'était-ce pas renouveler l'erreur du gallicanisme, aboutissant à la bulle Unigenitus.
La temporalité était l'unique domaine où les constituants se donnaient le droit de légiférer. Mais dès l'instant ou l'Etat fait intervenir son autorité dans les matières de juridiction ecclésiastique, n'est-il pas fatal de le voir aux prises avec des questions de droit canon ? On croirait vraiment que nos grands « laïcisateurs » avaient perdu le souvenir d'une époque, pourtant récente, où s'était affirmée avec tant de force la toute puissance de Rome sur son clergé. D'autre part, si les visées de leur politique étaient de susciter à nouveau une église gallicane, comment n'eurent- ils pas la prévoyance de la mettre à l'abri de toute réaction, en s'assurant le dévouement de la plus forte partie du clergé?
A cette époque de la Révolution, la paix et la liberté religieuses eussent pu être réalisées, si les esprits plus avisés avaient su reconnaître, dans le principe de la séparation des Eglises et de l'Etat, la solution de bon sens, la solution logique.
Il ne nous appartient pas d'exposer ici tout les événements religieux qui se placent entre la Constitution de 1790 et le décret du 27 novembre 1793 qui obligeait les ecclésiastiques à prêter serment à cette constitution. Avec eux, nous sommes dans la période de l'insurrection. Et, s'ils forment comme une trame serrée, si les actes législatifs auxquels ils donnent naissance, paraissent découler légèrement les uns des autres, c'est qu'à toute cette agitation il n'était qu'un aboutissant politique la dénonciation de l'erreur législative de 1790, de la constitution civile du clergé.
Il fallut attendre 1792 pour que l’assemblée législative commence à mettre en doute les bienfaits de la constitution civile.
Tout ce que peut faire une bonne Constitution, c'est de favoriser toutes les religions sans en distinguer aucune. Il n'y a point en France de religion nationale. Chaque citoyen doit jouir librement du droit d'exercer telle pratique religieuse que sa conscience lui prescrit, et il serait à désirer que l'époque ne fût pas éloignée où chacun eût la charge de son culte.
Mais ce n’est qu’après la chute de Robespierre, le 23 décembre 1794 que l'Abbé Grégoire fit la lumière sur les velléités communes à tous les conventionnels et formula les véritables principes de liberté en matière religieuse. Car il n'était pas suffisant de dire, que la Convention civile n'existant plus, l'Eglise avait seule à prendre souci d'elle-même. Grégoire s'élève au-dessus du moment et spécifie absolument, dans tous les pays et dans tous temps, l'Etat n'a pas à légiférer en ce qui concerne les choses cultuelles. Le gouvernement, dit-il, ne peut adopter, encore moins salarier, aucun culte, quoiqu'il reconnaisse à chaque citoyen le droit d'avoir le sien.
Le Gouvernement ne peut donc, sans injustice, refuser protection, ni accorder préférence à aucun. Dès lors, il ne doit se permettre ni discours, ni acte qui, en outrageant ce qu'une partie de la nation révère, troublerait l'harmonie ou romprait l'égalité politique. Il doit les tenir tous dans la juste balance, et empêcher qu'on ne les trouble et qu'ils ne troublent. Il faudrait cependant proscrire une religion qui n'admettrait pas la souveraineté nationale, la liberté, l'égalité, la fraternité dans toute leur étendue mais si un culte ne les blesse pas, et que tous ceux qui en sont sectateurs jurent fidélité aux dogmes politiques, qu'un individu soit baptisé ou circoncis, qu'il crie Allah, ou Jéhovah, tout cela est hors du domaine de la politique.
Grégoire, perdait son époque de vue et disait la législation d'un siècle plus calme. Il réclamait que les autorités fussent chargées de garantir à tous les citoyens l'exercice libre de leur culte, en prenant les mesures que commandent l'ordre et la tranquillité.
La Révolution était bien finie, la République aussi, le 18 Brumaire avait installé le Consulat qui annonçait l’Empire.
Le Concordat de 1801.
Le plan de Bonaparte n'était pas compliqué. L'Etat salarie les ministres du Culte. On fait table rase : réfractaires et constitutionnels donnent leur démission. Le premier consul désigne les titulaires; le pape donne l'institution canonique. Les évêques nomment les curés. L'Eglise accepte la confiscation des biens ecclésiastiques. Tout le clergé prête serment de fidélité au Gouvernement.
Mais Pie VII a d'autres visées.
Les discussions durent, le premier consul y met fin et impose ses conditions : On ne parle plus d'une religion d'Etat il n’est question que d'une religion catholique qui est celle de la majorité des Français. Sur tous les autres points, Bonaparte resta intraitable. Il exprima même le désir de voir l'Eglise soumise, sans arrière-pensée, à un règlement de police.
L’envoyé du pape, le cardinal Consalvi ne se permit aucune objection.
Le 15 juillet 1801, le Concordat était signé, mais il ne fut mis en vigueur qu'au mois d'avril 1802, après l'établissement de la législation de la police des cultes.
Les milieux républicains, les ecclésiastiques constitutionnels étaient inquiets, ils redoutaient l’intervention de la papauté dans les affaires de la France.
Bonaparte ne doutait pas de voir se calmer l'émotion des révolutionnaires. Le Concordat devait lui attirer les bonnes grâces de l'Eglise, ultérieurement il présenterait son interprétation de l'acte consenti avec la papauté, le correctif nécessaire propre à faire de l'Eglise l'esclave docile de l'Etat.
Napoléon tenait en réserve ses fameux articles organiques, dont il fit donner lecture au légat du pape, dès que celui-ci eut légitimé les nouvelles circonscriptions diocésaines et rendu possible le fonctionnement régulier de l'Eglise concordataire.
Ces articles organiques, que Napoléon considérait comme le chef-d’œuvre de ses ressources astucieuses étaient-ils réellement de nature à mettre en échec l'autorité romaine? Ce serait une grave erreur de le croire. Un siècle d'expérience a démontré la fragilité et l'insuffisance de ces précautions que le Saint-Siège n'a jamais voulu reconnaitre.

Du Concordat au Syllabus

La chute de l’empire vit revenir d’exil une nouvelle génération sacerdotale qui envahit la France. L'Eglise devint double. Il y avait plusieurs évêques pour un seul siège, et le clergé resté en France n'était que toléré. Une refonte le fera disparaître.
Telles étaient les dispositions d'esprit des hommes de la Restauration à l'égard de l'Eglise, de la Révolution et de l'Empire. Leur programme réformiste était dicté par la même haine des années vécues depuis 1789.
Les rapports entre l'Eglise et l'Etat redevenaient ce qu'ils étaient sous la monarchie. Par conséquent, l'Eglise reconquérait sa puissance temporelle. Les anciens diocèses étaient reconstitués et le clergé doté en bien-fonds ou en rentes perpétuelles. Les ordres religieux pouvaient accroître leurs biens indéfiniment. Les évêques réfractaires, connus sous le nom de petite église, émettaient encore d'autres prétentions.
Louis XVIII n'était pas d'avis de les suivre jusqu'au bout de leurs prétentions. La charte proclame la liberté des cultes, mais elle dit que le catholicisme est la religion de l'Etat.
La seconde Restauration déchaîna les fureurs réactionnaires que l'on connaît sous le nom de Terreur Blanche. Elle voulut, plus encore que la première, l'Eglise toute-puissante. Elle exigeait la restitution de tous ses biens et une reconnaissance dans le grand livre de la dette publique. Louis XVIII refusa.
L'Eglise ne se tint pas pour battue. La souveraineté par l'argent lui échappant en partie, elle réclama le monopole de l'enseignement, afin d'imprimer une empreinte ineffaçable sur l'esprit des générations futures et d'assurer ainsi son règne moral
La Révolution de 1830 ne fut pas irréligieuse, mais les hommes qui en bénéficièrent paraissaient résolus
à repousser les entreprises théocratiques et à débarrasser le Gouvernement des doctrines ultramontaines.
Ils ne purent y réussir, soit que leur énergie combative n'égalât pas celle du parti clérical, soit que la
conscience des nécessités politiques modernes leur fit défaut.
Et cependant le programme d'action anticléricale était dicté, pour ainsi dire, par l'Eglise elle-même.
Elle visait, pour l'instant, à l'anéantissement de l'Université; il était donc de toute nécessité de protéger et d'affermir celle-ci.
En 1830, il est incontestable cependant qu'une victoire fut remportée. On supprima de la Charte l'article
proclamant que le catholicisme est la religion de l'Etat. Un pareil acte contenait comme l'engagement implicite de rompre tous les liens concordataires avec l'Eglise. Lamennais, d'ailleurs, ne s'y trompa point quand, un peu plus tard, il écrira que la séparation est inscrite dans la Charte du 7 août.
Mais la monarchie de Louis-Philippe s'inféodant de jour en jour au clergé, on ne voit pas ce qui pouvait empêcher le gouvernement de céder aux instances de l'Eglise.
Le principe de la liberté de l'enseignement fut consacré par la loi en 1843. L’Etat gardant un droit de regard. C’était trop pour l’église, de nouveau, elle fit entendre un branle-bas de combat. Elle réédita ses accusations contre l'Etat, qui, dans ses écoles, encourageait le parricide, l'homicide, l'inceste, l'adultère, l'infanticide…
Ainsi, durant tout le règne de Louis-Philippe la lutte de l’Église  contre l'Etat fut surtout dirigée contre l'Université. C'était elle qu'il fallait abattre pour que l'écroulement de tout l'édifice laïque s'ensuivit.

On sait que la Révolution de 1848 fit surgir un état d'esprit à la fois socialiste, républicain et catholique.
Sans doute, les idées de Lamennais avaient germé.
Mais L'autorité temporelle du pape étant mise en danger par les révolutions  il fallait une toute autre politique gouvernementale. C'est sans doute cette nécessité de changer de régime qui a poussé les évêques et le pape a contribuer de toute leur influence au succès du coup d'Etat du 2 décembre 1851 qui confia les destinées de la France au plus dangereux des princes. En tant que Président de la République, Louis-Napoléon lui avait donné les plus sérieux gages de son dévouement. Grâce à lui, le pape rentrait en possession de ses Etats et, par suite, de sa puissance temporelle.
Restait à mener un dernier  combat pour la conquête de l’enseignement. Le comte de Falloux, Ministre de l'Instruction publique, le mena à bien. Il présidait lui-même la Commission à qui était confié le soin d'élaborer la nouvelle loi. Thiers faisait fonction de vice-président, obéissant aux ordres de Dupanloup, de Montalembert, de Riancey. Les débats furent vivement menés,  mise en discussion en janvier 1850, la loi fut votée le 15 mars de la même année.
En voici les dispositions essentielles : Un Conseil supérieur de l'Université groupait huit membres de l'Université, trois archevêques, un évêque, un ministre protestant, un ministre de la Confession d'Augsbourg, trois conseillers d'Etat et trois membres de l'Institut chacun d'eux était élu par ses pairs; le Gouvernement ne désignait que trois représentants de l'enseignement libre.
Les attributions de ce conseil étaient suffisamment vastes pour priver l'Université d'une direction directe effective de l'enseignement. D'autre part, les conseils académiques dirigeaient sans contrôle enseignement primaire et enseignement secondaire qui étaient, l'un et l'autre, accessibles aux religieux. 
Le titre de ministre du culte suffisait pour professer dans les écoles primaires et aucune autorisation administrative n'était requise pour ouvrir une école libre, secondaire ou primaire.
L'Eglise triompha, et dès lors ne se crut plus tenue à cacher l'audace de ses entreprises. Après l'enseignement, l'assistance publique devint l'objet de ses convoitises. Le Gouvernement n'eut garde de la
mécontenter; dans toutes les lois sur la bienfaisance, l'influence cléricale fut- favorisée et devint prépondérante.
Napoléon III rêvait du sacre de son oncle et aspirait à la même consécration de son pouvoir. Mais le pape entrevoyait ce sacre sous l'aspect d'un marché; il imposait ses conditions, abolition des articles organiques et de la loi sur le mariage civil. Napoléon résista et les négociations avortèrent. Le résultat fut un changement dans la politique de l'Empire. La loi Falloux fut amendée dans un sens plus libéral le nombre des académies passa de 86 à 16 et les recteurs jouirent d'une plus grande indépendance vis-à-vis de l'épiscopat.
Mais l'empereur allait avoir d'autres occasions de lutter contre l'ultramontanisme vainqueur. Pie IX, mis en goût par la puissance temporelle et spirituelle que, depuis longtemps Rome n'avait pas possédée à un tel degré, formait le projet d'en finir avec les principes de la Révolution. L'Eglise, il se l'était promis, devait dépasser en omnipotence, en absolutisme, en intransigeance, tout ce que les papes  du moyen âge avaient pu rêver.
En premier lieu, l'Eglise avait à s'affirmer infaillible, Pie IX n'avait pour cela qu'à agir en souverain absolu, au mépris de tout concile œcuménique. Il proclama donc, de sa propre autorité, le dogme de l’immaculée conception de la Vierge, le 8 décembre 1854.
L'empereur se rapprocha de Victor-Emmanuel et ce ne pouvait être qu'au préjudice du pape, car un des premiers articles du programme piémontais était le démembrement de l'Etat pontifical. Napoléon III mit au service de la cause italienne l'armée et l'argent de la France. Comme son entourage lui représenta qu'il s'aliénait l'Eglise s'il persistait dans sa politique internationale, il signa avec l'Autriche les préliminaires de Villafranca qui disait que la Confédération italienne aurait le pape comme président honoraire. Le peuple italien, qui voulait, à tout prix, réaliser l'unité nationale, ne comprit pas que l'on arrêtât leur Révolution.
Cette agitation détruisit la bonne entente qui jusque-là avait régné entre l'Empire et l'Eglise. Napoléon, attaqué par le haut clergé écrivit à Pie IX de renoncer à ses légations qui naturellement, par la force des choses, se détachaient de lui. La réponse du souverain pontife fut une encyclique, déclarant qu'en vouloir à son autorité spirituelle équivalait à haïr son pouvoir spirituel, et que les Etats du Saint-Siège étaient la légitime propriété, non de la papauté, mais du monde catholique. Ces véhémentes protestations n'empêchèrent  pas l'annexion des légations pontificales au Piémont. La défaite des troupes papales à Castelfidardo, permit à Cavour d’ouvrir à Turin le premier Parlement italien.
L'Eglise, refusa cette décision. Les mandements épiscopaux prirent la couleur d'appels à la guerre civile; ils suscitèrent parmi les croyants la plus vive émotion. Et bientôt toute la bourgeoisie conservatrice, et même libérale, manifesta à l'égard de l'empereur une indignation telle, que celui-ci, en manière de réponse, tempéra son absolutisme gouvernemental.
Napoléon, aigri par cette agitation, n'aurait pas répugné à se rapprocher de Rome; mais Pie IX repoussait toutes les ouvertures de transactions comme injurieuses pour sa dignité. Craignant que sa majorité d'autrefois ne tournât à la légitimité ou à l'orléanisme, Napoléon imprima à sa politique une direction nouvelle, il fit des avances pour la constitution d'un ministère conservateur. Le maintien du pouvoir temporel du pape devint, aux élections de 1864, l'article primordial du programme des candidatures. Néanmoins, Pie IX ne sut aucun gré à l'empereur de ce revirement. La France blessait les convictions du souverain pontife. Après l'opposition gouvernementale, de bons catholiques battaient en brèche sa politique théocratique. Au Congrès de Malines, Montalembert fit le procès de l'Inquisition et réclama toutes les libertés, jusques et y compris celle de l'erreur. De telles « hérésies » décidèrent enfin Pie IX à rompre les liens qui créaient quelque solidarité entre lui et les Etats laïques, à condamner radicalement les sociétés issues de la Révolution. Ce fut le Syllabus.

Le Syllabus.
Pie IX n'y tint plus et se sépara avec éclat d'une société qu'il abominait. Le 8 décembre 1864, l'encyclique Quanta cura apprit au monde la rupture complète du droit laïque et des principes théocratiques, la déclaration de guerre ouverte, sans trêve ni merci, que le pape adressait aux gouvernements qui refusent de se soumettre à sa puissance temporelle et spirituelle. Et pour qu'il n'y eût pas d'équivoque, Pie IX spécifiait dans le Syllabus les quatre-vingts propositions qualifiées Erreurs principales de notre temps, que Rome désormais tiendrait pour hérétiques :
La prépotence du pouvoir civil, la libre recherche de la vérité, les droits de la conscience, la neutralité scolaire, le droit civil, le suffrage universel, la police des cultes, la civilisation moderne, l'indépendance de la morale et de philosophie vis-à-vis du catholicisme, la science, la liberté de la presse et de la parole, tels sont les objets principaux que le souverain pontife vise et réprouve. Enfin la séparation de l'Eglise et de l'Etat est la cinquante-cinquième proposition, que l'on ne saurait formuler comme un vœu sans encourir les foudres de la Rome papale.
Pie IX, au mois de juin 1867, exaltait le Syllabus devant quatre cent-cinquante évêques et projetait, ce même jour, la réunion d'un concile œcuménique pour décider que la politique nouvelle du Saint-Siège sera enseignée comme un dogme et que l'infaillibilité pontificale deviendra un acte de foi.
Le 21 janvier 1868, les Pères du Concile reçurent un schéma sur la Constitution de l'Eglise, le schéma nommé de l’Ecclésia. Il est divisé en quinze chapitres. L'un des chapitres envisage les rapports de 'Eglise et du pouvoir laïque, et, cette fois le Concile émet l'opinion que la séparation de l'Eglise et de l'Etat ne saurait s'imposer. Bien plus, la loi divine la condamne, car l'Etat a pour devoir primordial de protéger la seule vraie religion et le Concile ajoute qu'il ne sera plus question de séparation le jour où les maîtres du pouvoir temporel reconnaîtront que l'Eglise est plus précieuse que leurs Etats.
 La constitution relative à l'infaillibilité fut adoptée, le 18 juillet. Le pape désormais ne consultera plus l'épiscopat avant de formuler ses définitions, qui sont définitives, irréformables, obligatoires, grâce uniquement à l'assistance divine. Le pape demeure le seul maître. Contre lui, les « princes laïques » ne sauraient opposer leurs théories, leurs politiques; vainement, ils prétendraient l'influencer, le circonvenir, l'amener à composition; l'ère des pactes est définitivement close. »

Ici s’arrête les extraits de ce rapport particulièrement bien documenté mais le rapport lui-même ne se termine pas à la fin de l’Empire. Il poursuit et relate avec précision les évènements qui ont marqué les débuts de la IIIème République, c'est ce que ce qui a été présenté plus haut.

Au terme de ce rappel historique, il apparaît que désormais, faute de possibilité de négociation, la seule solution pour les états laïques est la séparation. C’est ce qui sera fait par la IIIème République le 9 décembre 1905. Elle s'applique aux quatre confessions alors représentées en France : le catholicisme, la confession d'Augsbourg (les protestants luthériens), les réformés (les protestants calvinistes) et les israélites. 


La laïcité devient donc une réalité en décembre 1905, mais il faudra bien du temps pour qu’elle soit reconnue comme une valeur essentielle de la République. Ce n’est qu’en 1946 qu’elle est inscrite dans la Constitution de la IV ème République, elle sera reprise en 1958 dans celle de la Vème République.

En conclusion il faut tout d’abord affirmer que la laïcité n’est évidemment pas l’ennemie des religions, contresens qui se plaît à inventer une image négative et polémique de la laïcité pour pouvoir mieux la discréditer.

La laïcité, selon Henri PENA-RUIZ, philosophe qui a écrit de nombreux ouvrages sur le sujet, c’est pour l’Etat républicain l’obligation de garantir à tous ses citoyens de pouvoir jouir strictement des mêmes droits et être soumis aux mêmes devoirs. Ceci a évidemment des implications et des conséquences quant à la neutralité de la sphère publique, de l’école et de l’ensemble des institutions de la République, de cette chose commune à tous, qui a pour tâche de mettre en avant ce qui est commun à tous les hommes et non pas seulement ce qui est commun à certains. Ce vœu d’universalité est évidemment ce qui fait de la laïcité un principe de concorde de tous les hommes par delà leurs différences, au lieu de les enfermer dans leurs différences. Cette concorde n’est elle pas le premier pas vers la FRATERNITE de notre devise républicaine ? Dans notre pays dit-il encore, vivent des citoyens qui ont des options spirituelles différentes, les croyants de toutes sortes de religions, les humanistes athées qui ne croient ni en l’existence d’un au-delà ni en celle d’un dieu, et les agnostiques qui ne se prononcent pas car ils considèrent que l’existence d’un dieu et d’un au-delà sont inconnaissables. La République doit veiller à fonder une communauté politique, un pays où tous les citoyens puissent vivre ensemble, au-delà de leurs différences spirituelles. On est citoyen avant d’être athée, croyant ou agnostique. Les choix particuliers de chacun font partie de la sphère privée.


Pour Jean Baubérot, historien des religions, La laïcité, c’est la liberté imposée aux religions et non la répression des religions. La neutralité et la séparation sont des moyens. Le but, c’est la liberté de conscience. La finalité de la laïcité vise la non-discrimination pour raison de religion, mais cela concerne aussi les homosexuels qui veulent se marier et les citoyens qui veulent mourir dans la dignité. C’est un combat pour la liberté de conscience. Par rapport à la loi de séparation de 1905, il me semble, dit-il, qu’il y a aujourd’hui moins de séparation et trop de neutralité. Sous Sarkozy, il n’y a eu que fort peu de séparation avec son discours du Latran sur l’identité catholique de la France. Il y avait un aspect anti-immigré et anti-musulman très net. C’était une captation de la laïcité au profit d’un discours de droite dure qui a donné un boulevard à l’extrême droite.


Pour introduire plus de séparation il faudrait, toujours selon Jean Baubérot, s’attaquer au concordat qui existe en Alsace-Moselle. C’est un régime antérieur à 1905. Voilà un siècle que cette région est redevenue française et il y a encore des cours confessionnels de religion desquels on peut être dispensé avec un accord des parents. Les pasteurs, rabbins et curés sont payés par nos impôts, et même si cela ne représente pas une grande somme, c’est une affaire de principe et de liberté de conscience.

On peut distinguer trois piliers sur lesquels la laïcité se fonde : l’indépendance de l’État à l’égard des religions et convictions, pour les citoyens, la liberté de conscience et la non-discrimination pour raison de religion.
Dans toute démocratie, il y a des éléments de laïcité mais la laïcité absolue n’existe pas, elle est en quelque sorte un idéal vers lequel on doit tendre.


Pour conclure cette présentation du pourquoi et du comment de la loi du du 9 décembre 1905, on ne peut qu'espérer qu'elle perdure et pour cela, sans esprit de combat ni de soupçon per
pétuel il est important de rester vigilants. C'est tout l'objet de cette modeste contribution.