jeudi 19 août 2010

Dimanche, premier avril 1917...

Quand Henri Cabillic se réveille ce matin là, le souvenir de la dispute de la veille lui revient et le met de mauvaise humeur, mal à l'aise aussi, un peu...
« Tu ne vas pas sortir en mer quand même, pas un dimanche de Pâques, je vais dire quoi, moi, au curé et autres femmes ? »
Pas facile d’oublier la fâcherie, mais c’est pas le curé qui va nourrir la famille ni celle des autres matelots !

Il va secouer Fanch, son fils, qui dort profondément. Aïe aïe, pas facile à lever, il a fallu qu'il sorte hier soir, à quelle heure est-il rentré ?
Paraît qu'à seize ans on peut courtiser les filles maintenant!
Ah! de son temps...

...Bon c'est vrai, il n'avait pas trop attendu non plus!
Sans doute une petite ouvrière de la conserverie de Loquéran qui lui fait les yeux doux. Tu penses bien un fils de patron pêcheur...

Louis Canévet, lui, a déjà quitté Perros pour rejoindre Poulgoazec en suivant le chemin des douaniers. Il marche vite mais arrive à peine à se réchauffer, faut dire que ce fichu de printemps se fait attendre. L'hiver n'en finit pas, les plus vieux disent qu'ils n'ont jamais connu un froid aussi piquant!

Les vraiment vieux, les plus de quatre vingts ans pourraient peut-être se rappeler, les statistiques de la météo,  situent le dernier mois d'avril aussi froid en 1837! Faut croire que ça existe déjà, pas la météo, mais les relevés de température

Mais Louis ne connaît pas les statistiques...

Tout en marchant il pense à leur dernière rencontre avec le sous-marin boche qui fait le blocus de la côte sud du Finistère.
Les avertissements du commandant lui reviennent en mémoire.
En mars un chalutier de l'île d'Yeu a éperonné un Uboat et l'a envoyé par le fond au large de Belle Ile! 
Les autorités allemandes sont furieuses, les ordres du Kaiser vont être strictement appliqués: tous les bateaux qui seront à moins de 20 milles des côtes seront coulés.
L'officier les a prévenus, il quittait la zone et son remplaçant serait impitoyable.


Mais le voilà arrivé. Peu de bateaux vont sortir ce dimanche. Il repère les équipages de la Providence de Dieu, son bateau, ceux de la Jolie Brise, et ceux de deux autres chaloupes déjà en partance.
Les marins de Poulgoazec ont délaissé la petite drague et apporté les filets. Malgré le froid il a été décidé d'abandonner la pêche à la raie et la protection des batteries du cap Sizun pour essayer le gros maquereau plus au sud.
Il rejoint les copains de la Providence pour les aider à embarquer le matériel, tout doit être bien rangé, tout à l'heure quand il faudra manœuvrer pour rentrer les filets il n'y aura pas beaucoup de place pour les onze hommes d'équipages.

Henri Cabillic et Vinoc Bourhis, le patron de la "Jolie Brise", discutent, Leurs femmes insistent pour qu'ils désarment comme bien d'autres pêcheurs de Poulgoazec, paraît-il que la pêche est presque stoppée à Douarnenez.

Les bateaux sont prêts, la misaine est hissée on attendra d'avoir quitté le port pour envoyer le taille vent, on ne voit pas grand’ chose au large, un vilain grain s'annonce.
Tout en préparant les filets Louis pense à ce que viennent de dire les deux patrons: s’arrêter, c'est bien beau mais à terre il y a des bouches à nourrir, et pas qu'un peu. Il faudra peut-être faire comme quelques gratteurs de grève d'Audierne, ils sont partis travailler à la poudrerie de Pont de Buis.
Le vent a forci, ils sont arrivés sur les lieux de pêche, un peu plus près de la côte ils voient les deux autres bateaux qui pêchent, plus au sud la Jolie Brise a déjà lancé ses filets...


Au loin un grain se prépare, tiens un sloop qui vient de l’ouest, les hommes occupés par la manœuvre n’y prêtent pas trop d’attention.
Pourtant il est bizarre ce sloop, surtout la voilure que l’on voit mieux maintenant, ce n’est pas un sloop, c’est un sous-marin !

A bord des deux chaloupes qui sont un peu plus loin c’est la panique, pas le temps de ramasser les filets, on coupe tout et direction la côte à toute allure, une chance, un gros grain s'annonce, ils vont disparaître à la vue du sous-marin et réussiront à regagner le port.




Pour la Providence de Dieu et la Jolie Brise c'est trop tard, les premiers obus tombent sur les bateaux qui commencent à couler, les marins grimpent dans les agrès mais ils sont mitraillés...

... aucune pitié en effet.

Très vite tout est fini, en quelques instants disparaissent 20 marins pêcheurs qui laissent 43 orphelins...

Le dimanche 1er avril 1917 tire à sa fin, mais la guerre n'est pas finie...
Le lendemain le congrès des Etats Unis autorisent le président Wilson à déclarer la guerre à l'Allemagne.
Dans quelques semaines les troupes américaines vont arriver à Brest, à Saint-Nazaire.

Le temps des sous-marins est compté.
Pas celui des souffrances et des carnages, pas encore.




mardi 27 juillet 2010

La chaloupe et son équipage à la peine...

Pour terminer cette trop courte "histoire" de la chaloupe sardinière
qui peut paraître un peu "image d'épinal"
modifié "décor de chez Henriot"
il n'est pas inutile de préciser que ces si jolis bateaux
étaient l'outil de travail des pêcheurs
qui sortaient en mer pour nourrir leur famille
et procurer du travail à toutes celles et tous ceux
qui dépendaient de ce qu'ils remonteraient dans leurs filets.
C'est ainsi qu'en 1910, entre Camaret et Le Croisic
on dénombrait 3700 bateaux, environ 20 000 marins
qui approvisionnaient l'industrie sardinière
forte d'environ 30 000 soudeurs et ouvrières.





On l'a rappelé plus haut la pêche à la sardine
ne durait que quelques mois,
le reste du temps, une grande partie de l'année
même si l'on enlève les périodes de très mauvais temps,
les bateaux sortaient et les pêcheurs posaient leurs filets...





Les pertes de matériel et les naufrages n'étaient pas rares
sur les lieux de pêche ou,
comme à Audierne sur le chemin du retour.



La barre du port d'Audierne a souvent causé
la perte de bateaux et de leur équipage
malgré la mobilisation de la chaloupe des sauveteurs.

Par mauvais temps l'entrée du port ne souffre aucune mauvaise manoeuvre,

le bateau lofe et c'est la fin...

Celui-ci va passer...


Celui-là va casser
sous les yeux de la population amassée sur la digue et sur la grève.

lundi 26 juillet 2010

1917, une année noire.

Avant de commencer le récit du naufrage de mon grand-père un rappel "historique" est utile à la compréhension de la situation.

1917, la première guerre mondiale est à un tournant, l'allemagne renforce son blocus, les U.S.A entre dans le conflit, de nombreux pays neutres prennent partie contre le kaiser.

Tous les hommes valides sont mobilisés et se battent dans des conditions terribles. Pourtant certains hommes, comme mon grand père a échappé à cette boucherie. Selon mon père son statut de père de 7 enfants lui a évité d'être mobilisé.

1917, année noire, beaucoup lui ont donné ce nom, elle le mérite bien si l'on pense à tous ceux qui ont laissé leur vie dans les tranchées ou, en mer, torpillé par les U-Boat allemands.

Si 1916, l'année de la bataille de Verdun, 1917 fut celle des mutineries... Tout cela est si vite dit, et mérite plus d'explications:

La bataille de Verdun s'est enlisée du 21 février au 19 décembre, sur une bande d'environ 20 kilomètres sur 4. Elle a coûté la vie à plus de 300 000 hommes français et allemands.

Les mutineries de 1917 sont la conséquence du mépris des officiers français, et en particulier des généraux Nivelle et Pétain pour la vie des soldats français. Elles ont touché près des deux tiers des divisions engagées. Certains régiments ont majoritairement refusé de sortir des tranchées. Les condamnations à mort pour l'exemple ne ralentissent pas le mouvement qui durera jusqu'en septembre.

Plus de 3500 soldats seront condamnés, entre 550 et 600 à mort. La grâce présidentielle, en sauvera un grand nombre puisque selon les sources on compte entre 30 à 70 exécutions.

Terrible, 1917 l'est à bien d'autres égards.

Les conditions météo n'arrangent rien en ce ce début d'année, les températures atteignent -15° à Paris, il neige un peu partout en France, jusqu'à Toulouse qui sera bloquée quelques jours en février.

La vie des civils est difficile, restriction de pain de sucre, la carte de pain est instaurée, celle de sucre envisagée. Faute de charbon, les allemands occupant les principales régions minières, les trains sont rares. Les gens et les produits circulent mal.

Le 31 janvier, le kaiser décrète l'aggravation du blocus de l'Angleterre, la France et l'Italie. Tous les navires se trouvant à moins de 20 milles des côtes de ces pays sera torpillé sans avertissement. La mesure porte immédiatement ses fruits, beaucoup de pêcheurs restent au port et désarment leur bateau, quelques uns bravent l'interdit, en février 15 bateaux de pêche sont coulés la même semaine.
Des navires marchands de toute nationalité sont victimes des sous-marins allemands, ces pertes vont accélérer l'entrée de l'Amérique dans la guerre, ce sera chose faite le 6 avril.
Dans toute l'Europe des troubles éclatent du fait des conditions de vie plus que précaires des populations.
En Russie, à la fin février ces troubles tournent à l'émeute puis à la révolution, le tsar Nicolas II abdique, ce n'est pas encore la révolution d'octobre mais c'est le commencement.
En Espagne, en Grèce, la situation est explosive.

1917 est bien une année terrible, et ce dès les premiers mois de l'année.