lundi 17 janvier 2011

Le programme du CNR.

Depuis l'avènement de Nicolas Sarkozy nous assistons à une succession de remise en cause du programme du CNR. Dès octobre 2007 dans un article de Challenge, Denis Kessler, vice président du Medef, réclamait l'annulation pure et simple des mesures sociales issues de la Résistance.
C'était sans aucun doute la revanche de Vichy, le retour des patrons collaborateurs...
Certes des patrons, des industriels ont participé activement à la Résistance, certains ont créé ou participé à la création de mouvements de résistance, mais la grande majorité du patronat, séduite par l'idéologie sociale et politique de Vichy a collaboré à la mise en place des pires mesures sociales de la "Révolution Nationale", suppression des syndicats, interdiction du droit de grève...
Le général de Gaulle en recevant une délégation de patrons à la Libération ne manqua pas de leur rappeler qu'il n'avait pas vu beaucoup d'entre eux à Londres...
Les dirigeants de l'UIMM, Union des industries et des métiers de la métallurgie ont obtenu de Pétain que leur organisation ne soient pas dissoutes comme les autres syndicats ouvriers et patronaux sans doute pour les remercier de leur étroite collaboration à la rédaction de la "Charte du Travail" de 1941!
A la Libération on retrouvera, à quelques exceptions près, les mêmes individus quand l'organisation vichyste du patronat français essaiera de se donner une virginité en devenant le CNPF. Les mêmes encore ou leurs héritiers quand en 1998 le CNPF deviendra le Médef.
C'est donc bien d'une position revancharde qu'il s'agit quand en 2007, Denis Kessler, vice président du Médef, déclare "le modèle social français est le pur produit du Conseil National de la Résistance (...) Il est grand temps de le réformer, et le gouvernement s'y emploie. Les annonces successives des différentes réformes par le gouvernement peuvent donner une impression de patchwork tant elles paraissent variées, d'importance inégale et de portée diverses: statut de la fonction publique, régime spéciaux de retraite, refonte de la Sécurité Sociale, paritarisme... A y regarder de plus près, on constate qu'il y a une profonde unité à ce programme ambitieux. La liste des réformes? C'est simple, prenez tout ce qui a été mis en place entre 1944 et 1952, sans exception. Elle est là. Il s'agit aujourd'hui de sortir de 1945, et de défaire méthodiquement le programme du Conseil National de la Résistance."
On est tenté, pour un peu on crierait: "Maréchal nous revoilà!"
Face à cette démolition systématique, "méthodique" dit Denis Kessler, on ne comprenait pas le manque de réaction de tous ceux qui à un titre ou un autre appartiennent aux mouvements qui ont participé à garantir une plus grande justice sociale aux français.
En ce début d'année 2011, Stéphane Hessel vient nous secouer, nous inviter à l'indignation et à l'action pour préserver cet héritage.
L'exemple de ce jeune homme de 93 ans m'incite à terminer le petit texte que j'avais commencé en réaction aux propos du vice président du Médef.

C'est dans la nuit du 1er au 2 janvier 1942 que Jean Moulin est parachuté en zone sud muni du titre de représentant du chef de la france Libre en France occupée. Il est chargé de rassembler les différents mouvements de résistance de la zone sud gouvernée par un régime antisémite, antisocial et antidémocratique et dont la milice arrêtait, torturait ou livrait à la gestapo tous les opposants.
Obligés de vivre dans la clandestinité les résistants issus de tous les milieux cherchaient à s'organiser en déjouant les pièges des polices allemandes et françaises. Essayer de dresser un tableau des différents mouvements en quelques lignes est impossible, mais certains repères sont cependant indispensables pour comprendre la complexité du travail qui attendait Jean Moulin.

Depuis le 22 juin 1940, date de la signature de l'armistice entre Pétain et Hitler la France est divisée en quatre zones, dont la zone occupée au nord et la zone"libre" au sud. Au nord le allemands appliquent les lois de la guerre, au sud les miliciens de Pétain traquent les opposants au régime de Vichy. En novembre 1942, les allemands envahissent la zone sud, la gestapo s'installe à Lyon.
Au nord comme au sud, dès l'armistice, des femmes et des hommes issus de milieux différents, appartenant à des sensibilités politiques et spirituelles diverses s'organisent contre l'occupant, certains, la majorité, contre le régime de Vichy, les autres, non, par fidélité au vieux maréchal de la première guerre mondiale. Ces derniers auront du mal à reconnaître l'autorité de Jean Moulin.
A Londres deux autorités cherchent à entrer en contact avec ces mouvements: les anglais et le général de Gaulle. L'entente cordiale ne règne pas toujours entre eux...
Les envoyés de de Gaulle dépendent étroitement en ce qui concerne les fonds et la logistique du gouvernement britannique.
Les américains ne feront jamais entièrement confiance à de Gaulle, allant même à certains moments jusqu'à privilégier l'option Darlan puis Giraud...
En France, en zone sud comme en zone nord les mouvements au mieux s'ignorent au pire rivalisent. La clandestinité, les obligeant à la prudence dans leurs déplacements, ils ont peu de contacts entre eux ce qui ne facilitent pas non plus les initiatives de rapprochement.

Daniel Cordier dans ces différents ouvrages rend bien compte de cette vie diffile et de ces relations "inamicales". Il montre aussi les obstacles rencontrés du fait des dirigeants de certains mouvements jaloux de leurs prérogatives, il faudra du temps et bien du talent à Jean Moulin pour unifier les mouvements de la Résistance et leur faire accepter, d'abord, l'autorité du général de Gaulle, puis, la participation des "anciens" partis de la 3ème république au Conseil National de la Résistance.

Sans liberté de mouvement, sans aide, à part celle que lui donne sans compter Daniel Cordier, un jeune homme de vingt ans, Jean Moulin doit convaincre aussi souvent que possible, imposer parfois.

De janvier 1942 au 23 juin 1943, date de son arrestation à Calluire, 18 mois de cache-cache, de discussions quelquefois très dures après des déplacements hasardeux mais indispensables aboutiront à la première réunion du CNR le 27 mai 1943, rue du Four, en plein Paris puis à la rédaction du programme du CNR. Mais Jean Moulin ne participera pas à cette ultime étape, c'est Georges Bidault qui continuera son oeuvre.
C'est donc le 27 mai 1943 qu'une bonne vingtaine de clandestins dont la plupart sont activement recherchés par la gestapo seront conduits un à un dans l'appartement de René Corbin. Ils représentent huit mouvements de la résistance, deux organisations syndicales, et six partis politiques reconnaissant la France Libre et l'autorité du général de Gaulle.
Les sensibilités politiques sont diverses, elles vont de la droite nationale, libérale et catholique jusqu'au parti communiste en passant par les socialistes. C'est dire si les discussions ont été âpres mais la volonté de créer une France plus juste l'emportera.
Il faut relire ce programme et s'en imprègner pour empêcher que certains, le qualifiant de passéiste le supprime laissant le champ libre aux intérêts privés.
En voici donc quelques extraits:
MESURES à APPLIQUER dès la LIBERATION du TERRITOIRE:
"Unis quant au but à atteindre, unis quant aux moyens à mettre en oeuvre pour atteindre ce but qui est la libération rapide du territoire, les représentants des mouvements, groupements, partis ou tendances politiques regroupées dans le CNR proclament qu'ils sont décidés à rester unis après la Libération:
1) Afin d'établir le gouvernement provisoire de la République...
2) Afin de veiller au châtiment des traîtres et à l'éviction dans le domaine de l'administration et de la vie professionnelle de tous ceux qui auront pactisé avec l'ennemi...
3) Afin d'exiger la confiscation des biens des traîtres et des trafiquants du marché noir...
4) Afin d'assurer:
- L'établissement de la démocratie...
- La pleine liberté de pensée, de conscience et d'expression;
- La liberté de la presse... Son indépendance à l'égard de l'Etat et des puissances d'argent...
5) Afin d'assurer les réformes indispensables:
- sur le plan économique
L'instaurationd'une véritable démocratie économique et sociale...
Une organisation rationnelle de l'économie assurant la subordination des intérêts particuliers à l'intérêt général.
Le retour à la nation des grands moyens de production, des sources d'énergie, des compagnies d'assurances et des grandes banques.
- sur le plan social
Le droit au travail et au repos...
Un plan complet de sécurité sociale visant à assurer à tous les citoyens des moyens d'existence, dans tous les cas ou ils sont incapables de se les procurer par le travail, avec gestion appartenant aux représentants des intéressés et de l'Etat.
La sécurité de l'emploi...
... Une politique de prix agricoles rémunérateurs.
Une retraite permettent aux vieux travailleurs de finir dignement leurs jours!
- La possibilité effective pour tous les enfants français de bénéficier de l'instruction et d'accéder à la culture la plus développée, quelle que soit la situation de fortune de leurs parents, afin que les fonctions les plus hautes soient réellement accessibles à tous ceux qui auront les capacités requises pour les exercer...

En ce début de 21ème siècle et à l'avant veille d'une prochaine campagne
présidentielle ces quelques lignes du programme du CNR restent d'actualité, il faudra exiger des futurs candidats le respect total de ce qui demeure le point de départ de tout programme politique humaniste.
C'est à la lumière des mesures prévues en 1944 que nous pourrons juger de la qualité de nos futurs responsables politiques.

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